Parcours en Champagne #3 – Vendanges : une organisation bien calée

Le 23/11/2023 à 16:00

Avant que les dernières feuilles de vignes ne tombent sur le sol de ses parcelles, Pascal Doquet revient sur la dernière vendange que son équipe vient de rentrer.

L’une de nos plus longues vendanges

Commencée pour nous le 6 septembre, notre vendange 2023 a été l’une de nos plus longues, avec 15 journées de cueillette réparties sur 17 jours de vie collective. Oui, nous continuons d’organiser la récolte dans la tradition familiale, en nourrissant notre équipe de cueilleuses et cueilleurs et en logeant des personnes qui viennent parfois de loin. Ce travail qualitatif est l’un des plus importants et l’un des plus gratifiants pour moi, rendant palpable et appréciable gustativement les fruits d’une année de labeur. J’essaie dès que possible de me joindre à l’équipe de cueillette pour pouvoir compléter la dégustation des raisins que je commence déjà lors des deux semaines précédentes, quand je parcours les parcelles typiques de nos différents terroirs afin de décider du premier jour de récolte, et aussi de l’ordre de cueillette.

 

Prélèvement d’échantillons pour décider du jour de récolte. © P.Doquet

Décision de la date de vendange

C’est aussi par la cueillette que commence la vinification. Je pense que la suite des décisions et des techniques que nous allons utiliser ont pour objectif prioritaire de préserver ce que nous avons pu obtenir comme matière première dans nos grappes à partir de la vie de nos sols en profondeur. La décision de la cueillette devient de plus en plus délicate en Champagne, avec les conséquences du changement climatique. Comme dans tous les vignobles, la date de début des vendanges ne fait qu’avancer. Les dates du « ban des vendanges » sont décidées collectivement dans chaque village, et validées au sein de l’Association Viticole Champenoise, après un suivi de l’évolution de la maturité avec des prélèvements d’échantillons dans les villages les lundi et jeudi durant les trois semaines précédant les estimations de dates. Dans les villages avec des expositions et des natures de sols différentes, comme à Vertus, plusieurs dates s’appliquent pour des zones déjà établies. Un outil collaboratif est accessible sur le site web du Comité Champagne et nous donne une large vision des évolutions, que nous pouvons comparer avec un historique qui remonte à 1998. Nous pouvons ainsi suivre les courbes en les comparant avec les années les plus ressemblantes.

Pascal Doquet offre à ses vendangeurs des petits sacs à dos pour porter ses affaires lors des vendanges. © P.Doquet

Maturité phénolique recherchée

Jusqu’à une période récente, nous obtenions régulièrement une belle maturité phénolique autour de 11 degrés pour nos jus à la vendange, ce qui permettait d’obtenir un bel équilibre pour nos cuvées après la deuxième fermentation en bouteilles. Nous réglons la « prise de mousse », en jargon champenois, autour de 24 g/L de sucre, soit une augmentation d’un degré et demi, en obtenant un bel équilibre avec un degré fini de 12,5° d’alcool en moyenne. Nous avons retrouvé un équilibre idéal de maturité cette année, en choisissant toutefois de commencer par cueillir avec une équipe restreinte, deux jours en avance, nos deux vignes de pinot noir, déjà à 11,2° de potentiel, dont les grappes commençaient à subir les premiers symptômes de botrytis. Heureusement, notre cépage majoritaire, le chardonnay (95 % du vignoble), est également le plus résistant des cépages champenois aux effets de la pourriture. Nous avons ainsi pu attendre une belle maturité phénolique pour le vendanger dans les meilleures conditions, avec une richesse de goûts et d’arômes dans les jus qui retrouvaient un équilibre plus typique de la Champagne, en moyenne 11° d’alcool potentiel. En 2022, atteindre la même maturité phénolique nous avait conduits à attendre davantage et finir avec un degré un peu élevé (11°9), qui avait monté pendant la vendange, un signe parmi d’autres des conséquences du changement climatique.

 

© P.Doquet

Rythme de cueillette adaptée aux terroirs et au climat

2023 restera dans les annales champenoises à cause de la chaleur record qui a marqué les vendanges. En démarrant un peu plus tard que nos voisins de terroir, nous avons échappé aux journées les plus chaudes du début du mois. Nous avons organisé les journées de travail avec de nombreuses pauses pour se désaltérer. Doublement des quantités de boissons assuré ! Les repas de midi étaient pris à l’ombre près du ruisseau, quand nous nous déplaçons avec toute l’équipe dans nos vignobles éloignés des coteaux Vitryats. Ceux-ci, contrairement à l’habitude, étaient en retard de maturité par rapport à ceux de la Côte des Blancs. Nous nous sommes adaptés pour récolter dans un ordre tout à fait original et nous avons pu « garder notre degré » toute la vendange.

 

© P.Doquet

Cueillette manuelle et pressurage encadré

En Champagne, la cueillette manuelle est obligatoire, tant qu’aucun autre moyen ne permettra de remplir nos pressoirs avec des grappes entières (règle absolue du cahier des charges de l’AOC). Avec une obligation d’utiliser des cagettes trouées, d’environ 45 kg pour notre part, pour éviter toute macération avant le pressurage, les rendements champenois sont établis en kilo à l’hectare. Tous les raisins sont obligatoirement pesés et enregistrés sur un carnet de pressoir avant le début du pressurage. Un rendement de jus fixe s’applique, à raison de 160 kg de raisins par hectolitre de jus. Pour les échanges commerciaux entre les vignerons, coopératives et négoce, s’applique un fractionnement des premiers jus (que l’on nomme les cuvées, équivalentes à 20,5 hL pour 4 000 kg de raisins) et des fins de presse (appelées les tailles, de 5 hL).

 

Mais en adaptant

Pour notre part, nous conservons et vinifions l’intégralité de notre récolte. Je me suis donc depuis longtemps affranchi de ces ratios qui ne suivent pas les caractéristiques de chaque millésime. Je conserve le principe d’une vinification séparée, mais je limite la cuvée aux deux premières presses dans notre pressoir pneumatique, quel que soit le volume obtenu (en général entre 16 et 18 hL). Les cuvées millésimées sont uniquement composées de ces jus de cuvées à la structure acide plus affirmée. De même, je conserve l’usage ancien en Champagne qui est de séparer les deux derniers hectolitres, les deuxièmes tailles, qui seront utilisés pour les cuvées d’entrée de gamme à rotation plus rapide. Le foulage est seulement possible pour vinifier vins rouges ou rosés, ainsi que des Coteaux Champenois, deuxième AOC de notre région, dont la production de ces vins tranquilles commence à prendre une petite place sur le marché.

Densité à 1080 à la sortie du pressoir. © P.Doquet

 

Pascal Doquet


Le partage de Pascal : la cueillette en 4 x 4 !

 

C’est souvent une crise qui fait évoluer les choses. L’année covid m’avait fait réfléchir à la manière de limiter au maximum la proximité entre les cueilleurs et les échanges de matériel. J’ai d’abord eu l’idée de fournir un panier personnel à chaque personne, marqué à son nom, et désinfecté tous les jours en plus d’être lavé comme habituellement. Puis, au lieu d’avoir deux personnes dans chaque rang, récoltant chacune un côté de vigne et pouvant se croiser plusieurs fois pendant la cueillette, j’ai disposé quatre personnes par rang, mais tous les deux rangs seulement. Les deux premiers commencent au début du rang, tandis que les deux autres débutent la récolte 10 mètres plus loin. Les cueilleurs se repositionnent ainsi régulièrement en marchant et en vidant eux-mêmes leur panier dans les cagettes disposées tous les deux ou trois rangs. Les débardeurs prennent ensuite le relais pour sortir les cagettes des parcelles avec nos chenillettes. Si nous sommes revenus depuis à une disposition tous les rangs, nous avons conservé cette organisation en 4x4, et sans porteurs de seaux (amenant des seaux vides et prenant les seaux pleins). Cela procure beaucoup plus de mouvements, de changements de positions et de pauses aux cueilleurs, et rend les rangées deux fois plus courtes… De quoi alléger la fatigue musculaire et étancher correctement sa soif en 2023 !

 

© P.Doquet

 

Au programme du prochain épisode :

Levures et vinification