Vigneron en Champagne depuis 1982, Pascal Doquet est très vite conscient des enjeux environnementaux et convertit le vignoble en 2007. Très impliqué professionnellement, il cherche à faire avancer la filière vers toujours plus de qualité et d’écologie. Premier retour sur son parcours.
Champagne Pascal Doquet : les éléments clés
- 95 % de chardonnay et 5 % de pinot noir
- 8,69 ha répartis sur deux secteurs éloignés : Côte des Blancs et Coteaux Vitryats
- Sols crayeux (turonien en Coteaux Vitryats, et campanien pour la Côte des Blancs)
- Densité majoritaire à 7 500 pieds/ha. Deux vignes à 9 000 et 10 000 pieds/ha
- Récolte manuelle (obligation de vendanger des grappes entières)
- 100 % de la production vinifiée et commercialisée au domaine
- 80 % ventes export (30 pays), 20 % France vers partenaires professionnels
- 9 ETP + 20 saisonniers pour vendanges
Précurseur
Ma prise de conscience écologique s’est faite très tôt, alors que j’étais au lycée viticole de la Champagne, dont je suis sorti avec un BTAO Viticulture Œnologie en 1979. À cette époque, seulement moins d’une dizaine de vignerons en Champagne avaient refusé l’utilisation des produits de synthèse. L’enseignement viticole s’appuyait sur ce que l’on appelait alors la « non-culture », c’est-à-dire, en pratique, l’utilisation d’herbicides en plein avec l’apport de matières organiques en masse pour contrer l’érosion des sols inévitable en l’absence de couvert.
S’engager en bio, dès que possible
Les pratiques de mon père au vignoble étaient dans cette « norme » champenoise. Mais la vinification intégrale de la récolte du domaine amenait mon père à privilégier une récolte à bonne maturité de raisins, en produisant des champagnes de Récoltant-Manipulant (catégorie des vignerons indépendants dans la nomenclature champenoise) de belle qualité. C’est en prenant en charge la commercialisation du domaine que j’ai pu commencer à faire connaître cette qualité au travers de concours et de guides, en m’appuyant également sur la grande capacité de stockage de nos caves traditionnelles creusées dans la craie pour faire mûrir nos cuvées. En 1995, mon père commence à se retirer, et peu à peu, je deviens plus libre dans mes pratiques. J’arrête notamment les herbicides en 2001. En 2004, je reprends l’outil de production. Et j’engage en 2007 l’intégralité du domaine en certification biologique. Objectif que je visais dès mon intégration aux premiers groupes de développement « viticulture raisonnée ». Je suis maintenant accompagné dans la gestion du domaine et la commercialisation par mon épouse Laure. Et depuis 2017, notre fils Noé est revenu à nos côtés.
De grandes distances entre les parcelles
Les distances entre mes parcelles sont très grandes : point majeur dans ma conduite de protection sanitaire et de prise de risques qui en incombe. Le siège du domaine et la cuverie se situent à Vertus dans la Marne. 5,22 ha du vignoble sont répartis dans cinq villages du sud de la Côte des Blancs, sur des coteaux orientés à l’est. Il y a déjà 14 km de distance entre les extrémités du vignoble dans cette région. 3,47 ha se situent dans les Coteaux Vitryats, région de Champagne proche de Vitry le François. La distance par rapport au siège du domaine est de 66 kilomètres au plus loin.
Couvrir les sols, une priorité
Mon parcours cultural, souvent en autodidacte les premières années pour cause de quasi-absence de vignerons bio autour de moi, m’a conduit à expérimenter des couverts dès la première année d’affranchissement des herbicides. Je ne voulais surtout pas revenir au travail intégral du sol que pratiquaient les vignerons avant l’arrivée des herbicides. Il me fallait intuitivement redonner vie aux sols en apportant de la matière organique fraîche (la MOF que j’ai retrouvée plus tard dans la formation que j’ai faite avec Yves Hérody). Mais l’absence de matériel adapté au début du millénaire, et l’observation de la réaction de mes sols m’ont ensuite conduit au bout de trois années à encourager l’enherbement spontané, que je pratique encore. Il s’agit de cultiver un enherbement plutôt que de travailler les sols ! Pour moi, un sol doit être couvert autant et aussi longtemps que possible. Les plantes indigènes appelant une biodiversité déjà adaptée, et il faut gérer ensuite la concurrence pour la vigne induite par ce couvert.
Formations adéquates
Grâce à des formations que nous avons pu organiser dans le réseau de la Frab, j’ai retrouvé, auprès de Claude Bourguignon et de Gérard Ducerf, des appuis théoriques et pratiques venant renforcer mes sensations et expériences empiriques. J’ai également suivi un cycle de formation en biodynamie avec Pierre Masson en 2004-2005, mais je ne me suis pas retrouvé dans les concepts biodynamiques. J’avais déjà lu des livres de Rudolf Steiner quand j’étais au lycée, mais mon esprit scientifique me demande d’aller au-delà de l’intuition initiale en recherchant à comprendre au plus fin la biologie de nos terroirs et de nos plantes (ce qui n’exclut pas de commencer à se laisser porter par ses inspirations et de rechercher des influences artistiques, philosophiques ou spirituelles).
Soigner la pulvérisation
La protection du vignoble contre mildiou et oïdium est critique en Champagne. Elle nécessite disponibilité du vigneron et efficacité technique de la pulvérisation. Les traitements face par face sur tracteur enjambeur étaient déjà pratiqués avant le passage en bio. J’ai toujours cherché à les poursuivre en cherchant du matériel aidant à diminuer la consommation d’énergie (tracteurs légers et rampes à jet porté).
S’impliquer dans la vie professionnelle
Dès ma première année de conversion bio en 2007, j’intègre le conseil d’administration de l’Association des Champagnes Biologiques (l’ACB), qui œuvre à protéger et développer la bio en s’appuyant sur le réseau Frab/Fnab. L’ACB est également membre de France Vin Bio. Je deviens le secrétaire de l’association, puis le président de mars 2016 à décembre 2022. Pour essayer de faire avancer la reconnaissance et la promotion de la viticulture biologique, je me suis présenté au conseil d’administration du Syndicat général des vignerons de Champagne, dont je suis l’un des élus pour la Côte des Blancs depuis le printemps 2018. Je suis également secrétaire de France Vin Bio et au sein du réseau Fnab, je suis référent national pour le cuivre. Beaucoup de charges donc, mais une motivation pour faire évoluer les choses qui ne m’a pas quitté.
Pascal Doquet
(Crédit P.Doquet)
À relire dans Vitisbio : « Champagne : la filière bio se structure »