La Champagne connaît une pluviométrie intense cette saison 2024. Pour sa dernière newsletter, Pascal Doquet revient sur cette campagne éprouvante, dont la fin tarde à venir, et explique comment il tente de contenir au mieux le mildiou.
Pluie record
Après une longue interruption dans le fil des newsletters que je vous ai proposées, voici la dernière consacrée à la protection de nos vignes, décidément bien fragiles.
La météo de la cérémonie d’ouverture des JO vue par toute la planète, avec ses rasades de pluie continues à Paris, n’était pas très différente chez nous. Elle était bien à l’image de cette longue, très longue période pluvieuse que nous connaissons depuis le milieu du mois d’octobre. La pluviométrie annuelle est proche du double de la moyenne. Nos équipes sont bien valeureuses à affronter ces éléments adverses, trop fréquents, les empêchant de pouvoir récupérer convenablement. Heureusement pour nos salariés, la pause estivale est très proche ! À la vendange 2021, nous pensions avoir vécu en Champagne l’une des années les plus extrêmes en termes de pression mildiou : au 20 juillet, nous avions alors subi 24 contaminations. Eh bien ! En 2024, en cette année de records olympiques, nous en étions à 32 contaminations à la même date ! Si la fréquence des pluies a été relativement homogène dans chaque petite région champenoise, les cumuls, eux, sont bien différents depuis le 1 er avril. La partie sud de notre Appellation est la plus impactée, avec des mesures allant jusqu’à 320 mm de pluie dans la Côte des Blancs, tandis que les 500 mm sont dépassés plus au sud dans les Coteaux Vitryats et dans la Côte des Bar chez nos ami.e.s aubois.e.s.
Suivre les bonnes pratiques
Quel niveau de nouvelles contaminations mildiou allons-nous encore voir dans une dizaine de jours ? Jusqu’ici, les secteurs les moins arrosés tiennent encore relativement bien. Les retours d’expériences de 2021 que nous avons collectés avec l’Association des Champagnes Biologiques (ACB) nous ont fait progresser collectivement en proposant à nos adhérents un document technique complet illustrant les erreurs à ne pas renouveler et les bonnes pratiques à suivre. Ce travail m’a conforté dans la nécessité de démarrer tôt la protection, avec des doses pas trop faibles : 200 g/ha de cuivre sur deux hauteurs de buses, puis 300 à 360 g/ha dès que nous utilisons les trois hauteurs. De même, je tente de bien couvrir la croissance des feuilles en renouvelant la protection toutes les deux feuilles étalées. Bien accompagner la chute des capuchons floraux et la croissance des baies est aussi indispensable pour mettre le maximum de chance de réussite de notre côté. Le temps frais qui a allongé la période de floraison cette année nous a même conduits à réaliser un traitement intermédiaire localisé sur les grappes, malgré les faibles pluies à cette période, pour bien couvrir les pistils sans protection après la chute des capuchons floraux. Avec 9 ou 10 km de haie foliaire à l’hectare, pour une hauteur moyenne de 1,30 mètre, ces doses de cuivre sont à relativiser par rapport aux vignobles à plus faible densité. Notre tradition champenoise de garder nos têtes de souches proches du sol est historiquement reliée au risque de gel. Mais en entraînant aussi des risques de contaminations précoces, cette pratique me paraît être aujourd’hui un handicap inutile. Je milite activement pour tenter de faire évoluer le cahier des charges de notre AOC pour nous en affranchir.
Différents niveaux de perte
Comparée à 2021, la fréquence des pluies a favorisé les protections sans trop de dépassements de cumuls entre deux traitements (objectif de 20 mm). Cela explique en grande partie la meilleure réussite, relative, pour beaucoup de vigneronnes et vignerons champenois cette année. Dans nos vignes, les pertes de récolte sont en corrélation avec ces cumuls. Au 31 juillet, les dégâts restent relativement limités dans les parcelles de la Côte des Blancs : avec de 5 à 10 % de pertes selon les secteurs, et une pointe à plus de 20 % pour une vigne de pinot noir très vigoureuse. En revanche, avec une pluviométrie triple au mois de mai (jusqu’à 223 mm !), nos vignes des Coteaux Vitryats ont subi des contaminations massives très tôt avec quelques grêlons en prime ! Fin juillet, nous estimons que plus de la moitié de la récolte potentielle de ce secteur, déjà modérée cette année, est emportée. À ce stade, j’envisage une récolte globale quand même correcte qui va pouvoir être partiellement compensée par le déblocage d’une partie de nos vins de réserve interprofessionnelle.
Trop de cuivre ?
Cette fréquence des pluies nous a conduits à réaliser entre 15 et 18 traitements selon les secteurs, avec une moyenne de 330 g/ha de cuivre. Nous allons finir cette saison exceptionnelle à une quantité proche de 6 kg/ha. Est-ce trop ? Je suis persuadé que non ! Les études de toxicité du cuivre dans les sols, que nous avions conduites, dans le cadre du projet Basic, avec le réseau Fnab, l’IFV et l’Inrae, nous ont montré combien nos sols calcaires et riches en matières organiques sont résilients et neutralisent l’activité du cuivre.
Nous connaissons l’historique d’utilisation du cuivre, au début du siècle, avec des cumuls annuels allant couramment autour de 30 kg/ha… Quel chemin parcouru depuis ! Les vignerons bio ont dans leur ADN de réduire les doses au maximum. C’est en argumentant sur nos pratiques et sur cette ambition que nous avions pu établir une appréciation des quantités de cuivre utilisables sur une moyenne de 6 kg/ha/an établie sur 5 ans jusqu’en 2018.
Nous avions fait notre possible en 2018, avec l’ACB pour tenter de convaincre nos responsables politiques de maintenir cette règle, indispensable au développement d’une viticulture bio jusque sous nos latitudes. Nous n’avions malheureusement pas été beaucoup soutenus par les vignobles moins concernés par le risque mildiou. Finalement, une baisse à 4 kg/ha/an a été retenue dans le vote final des États de l’Union européenne en novembre 2018, due en grande partie, je pense, à l’absence de la dose de 6 kg/ha/an utilisée par les bio, dans les protocoles d’expérimentation et d’évaluation retenus par les agences (l’ANSES rapportrice pour l’EFSA).
Lissage, pas si simple
Notre combat n’a pas été vain pour autant, car nous avons réussi, avec nos amis bordelais et ligériens à convaincre notre ministre de l’Agriculture de plaider pour le lissage des doses. En retenant 28 kg/ha de cuivre pour 7 ans, la nouvelle approbation, obtenue politiquement, nous amène maintenant à des casse-tête réglementaires. Il y a des formulations commerciales qui sont limitées à 4 kg stricts et d’autres qui sont utilisables en moyenne à 4 kg. Comme toutes les moyennes basses qui visent à une utilisation parcimonieuse, la dose de 4 kg vient se heurter à la réalité de la loi des séries. Est-ce que 7 années était un choix technique ? Non, c’était simplement le délai prévu pour la prochaine approbation prévue, à l’époque, en 2025 (1) pour le cuivre, à cause de son inscription dans la liste des matières actives soumises à substitution, dès qu’une alternative peut être trouvée.
Années à répétition
La fréquence des années exceptionnelles progresse malheureusement. Les statistiques nous font percevoir des écarts-types de pluviométries bien loin des moyennes. Et cela n’est certainement pas étranger au changement climatique en cours. Il est avéré scientifiquement que le réchauffement induit davantage d’évaporation et, donc, davantage d’eau dans les précipitations ! 83 mm sur une station météo connectée le 2 mai, c’est du jamais vu pour moi. Et encore moins 65 mm sur la même station 10 jours plus tard… Nous avons besoin maintenant que ces phases de risques, conséquences de l’évolution chaotique de notre climat, soient prises en compte pour une application plus flexible des règles d’utilisation du cuivre par nos pouvoirs publics. Nos amis bordelais vont être en première ligne pour des dépassements possibles l’année prochaine, avec trois années exceptionnellement pluvieuses sur les quatre dernières, alors que des dépassements peuvent être tout à fait justifiés agronomiquement.
Peaufiner les infos météo
Nous avons cherché des alternatives, nous en chercherons encore, mais il est juste de constater que pour le moment, avec les infusions, les algues, et les huiles essentielles dont nous complémentons nos protections, nous avons trouvé l’équivalent de quelques sacs de sable ajoutés en haut de digues de protection. On peut améliorer un peu l’efficacité du cuivre, mais quand la nature déborde, nous ne pouvons pas espérer de miracle. Sur notre vignoble, nous avons aussi progressé dans la surveillance de nos parcelles. Avec les stations météo connectées, nous pouvons voir l’hétérogénéité de la pluviométrie et nous y adapter. Depuis 2007, le suivi parcellaire par la vision extérieure d’un cabinet de conseil, Viti-Concept, nous aide à élargir notre perception des risques et à accumuler une base de données riche d’enseignements, profitables à tous les nouveaux convertis en bio qui viennent à leur tour l’enrichir. Nous pouvons en retenir cette année que les dégâts en bio sont trois fois supérieurs à ceux des conventionnels, qui utilisent souvent en fin de saison du cuivre à pleine dose (1,2 kg pour les anciennes formulations).
Gérer aussi la vigueur
J’avais décrit dans la précédente newsletter mes pratiques pour le travail des sols. Avec un suivi N-testeur par colorimétrie, nous pouvons mieux percevoir les variations de vigueur et adapter nos protections en conséquence. Le lien entre vigueur et sensibilité mildiou n’est plus à démontrer. Il est également corrélé au niveau d’attaque de la pourriture. Cette année, les sols gorgés d’humidité n’ont pas favorisé un renouvellement intense des racines et la vigueur est globalement faible. Pour autant, il faut veiller à ne pas déclencher une minéralisation d’azote due à un travail des sols trop proche des vendanges. Nous étions en cours de ce dernier passage qui vient d’être interrompu par les pluies. Dès que les sols seront prêts, nous allons le terminer et laisser l’enherbement se redévelopper pour avoir un beau couvert pour les vendanges.
Et aérer les grappes
La taille en vert et le palissage sont aussi importants. J’ai limité les contaminations par un rognage plus précoce qu’habituellement de la zone de feuillage en dehors de la zone de pulvérisation de nos produits de contact. Notre équipe prolonge à la cisaille cette aération de la zone des grappes. Pas d’oïdium qui viendrait se rajouter au mildiou cette année heureusement ! L’oïdium n’aime pas la pluie, et la fréquence de renouvellement du soufre à moitié ou tiers de dose a été bien suffisante.
Le risque qui nous reste maintenant est la grêle, dont les assureurs savent bien maintenant comment sa prévalence remonte vers le nord année après année. Mais aussi l’échaudage que nous connaissons depuis une dizaine d’années en Champagne, en lien là-aussi avec des épisodes caniculaires qui deviennent bien plus fréquents.
J’ai pris un grand plaisir à écrire cette série de newsletters. Je remercie sincèrement la revue Vitisbio et particulièrement Frédérique Rose qui m’en a proposé la rédaction.
J’espère que vous aurez apprécié de me lire et retenu quelques idées et techniques qui vous feront progresser, tout comme moi, j’ai pu évoluer à travers les rencontres et enseignements reçus dans ma vie de vigneron.
Au plaisir d’une prochaine rencontre peut-être !
Bien à vous,
Pascal Doquet
(crédit P. Doquet)
(1) Ndlr : La réapprobation du cuivre n’aura a priori pas lieu avant mi-2027, à cause de retards administratifs, et la substance devrait sortir du classement des candidates à la substitution.
Le partage de Pascal :
Pour une bonne qualité de pulvérisation
Je n’envisage pas de pouvoir réussir en bio lors d’une année aussi compliquée sans une très bonne qualité de pulvérisation. En 2008, je me suis équipé d’une rampe à jet porté avec une turbine par rang. La puissance absorbée reste compatible avec un tracteur de faible puissance, ce qui veut dire également moins de poids et plus d’agilité dans des conditions difficiles.
Pour optimiser la répartition de la bouillie de traitement et limiter les effets de masques, j’alterne donc mon sens de déplacement dans les rangs d’un traitement à l’autre. À cet effet, j’ai mis en place des repères verts à une extrémité des rangs de passage et rouges à l’autre. Pour les traitements à numéro pair, je suis les repères verts, et les rouges pour les traitements impairs.
Il est absolument indispensable d’avoir un plan B quand l’état des sols est critique, mais aussi quand on subit des pannes de tracteur. Je me suis donc équipé de deux pulvérisateurs montés sur chenillard. Nous avons, encore cette année, pu assurer une protection quand il n’était plus possible de rentrer dans les parcelles avec les tracteurs. Il est important avec ce type de matériel de passer tous les deux rangs en alternance pour assurer là-encore une pulvérisation homogène.
Enfin, je n’aurais certainement pas travaillé autant sur les tracteurs en gardant un bon moral sans musique dans les oreilles. Mais pour les protéger et avoir une très bonne qualité d’écoute, je suis devenu adepte des casques à réduction de bruit active dès qu’ils sont devenus accessibles pour le grand public, en passant ces dernières années sur les modèles « sans fil ». J’en ai équipé tous mes employés qui en sont ravis.