Nous voilà rendus en Gironde, chez Pierre Henri Cosyns, au Château Grand Launay en AOC Côtes de Bourg. Ne se sentant pas au départ prédestiné au métier de vigneron, ce dernier reprend finalement le domaine en 2007 et lance la conversion bio peu après. Depuis, le domaine est dans une constante dynamique.
- Il regroupe les propriétés de Grand Launay (24 ha, propriété familiale achetée en 1968 par mes parents) et Haut Lorettes (6 ha, achetés en 2017 avec mon épouse).
- AOC Côtes de Bourg à 45 km au nord de Bordeaux.
- Deux salariés permanents et quelques saisonniers (jusqu’à 5) pendant les travaux en vert.
- Terroirs argileux et argilo limoneux. La moyenne d’âge des vignes est de 25 ans.
- Encépagement très local : 70 % merlot, 20 % malbec et 10 % cabernet franc et cabernet sauvignon.
- Vignes palissées et taillées en guyot double.
- Récolte mécanique avec un week-end de vendanges manuelles entre amis.
- Rendement moyen sur les trois derniers millésimes : 50 hL/ha. Plusieurs évènements climatiques ont impacté les récoltes : grêle sur 70 % en 2018, gel sur 50 % en 2017, coulure sur 50 % en 2013, grêle sur 50 % en 2009.
- Deux chais avec cuves bétons et inox : 2 500 hL de cuverie à Grand Launay et 1 000 hL à Haut Lorettes. La vendange est égrappée sur les machines à vendanger, passe ensuite sur une table de tri Viniclean Socma. Foulage et encuvage après passage dans une pompe à marc queue-de-cochon Schneider.
- Production annuelle d’environ 1 400 hL. Une gamme de 10 vins entre 9 € et 20 € et quelques ventes en vrac représentant 400 hL.
- Environ 40 000 bouteilles de stock conditionné. Mise en bouteilles et habillages réalisés par nous-même avec un petit groupe de 1 800 bt/heure max.
- Commercialisation : 35 % export, 40 % France, 25 % vrac.
- Certaines étiquettes réalisées en interne avec les moyens du bord. D’autres créées par des infographistes ou des artistes.
Pierre-Henry Cosyns (au centre) s'installe sur le domaine familial en 2007.
UN RETOUR AUX SOURCES
Si aujourd’hui je suis amoureux de mon métier, j’ai d’abord fui le domaine voyant mes parents travailler sans relâche ! J’ai alors choisi une autre voie, en étudiant à Bordeaux et au Mans pour devenir ingénieur. J’ai été salarié deux ans en région parisienne pour une société spécialisée en création de didacticiel informatique. Puis mon père a eu des alertes cardiaques… J’ai décidé de venir lui donner un coup de main lors des vendanges 2003. Ce fut le déclic. J’ai alors commencé la réflexion de l’installation comme jeune agriculteur et nous avons entamé la création d’une société civile agricole car mon père était en propriété individuelle. Le montage avait pour but d’offrir à mes parents une retraite sur l’exploitation, gérée par mes soins. Je me suis installé en 2007 après avoir créé la SCEA en 2005. Mais mon père est décédé en 2008 d’un énième arrêt cardiaque, à 65 ans. Ma mère et moi-même étions cogérants, jusqu’à ce qu’elle décède, elle aussi, en 2013 d’un cancer, à 62 ans.
LA BIO, POUR VALORISER LES VINS
Lorsque j’arrive sur le domaine, les vins produits sont déjà qualitatifs. En revanche, leur commercialisation est déséquilibrée : 90 % en vrac et 10 % en direct. Cela me semble fragiliser l’exploitation. J’ai voulu passer en bio pour ajouter ma pierre à l’édifice et j’étais convaincu que cela serait un atout fort pour la commercialisation et la différenciation. Je lance la conversion de l’exploitation en 2009, sur la totalité de la surface. En 2012, tout Grand Launay est bio. Une bonne année pour démarrer car ce fut aussi celle des premiers vins bio. Ma volonté était en priorité de garder aussi une propriété à taille humaine : que les gestes vignerons soient valorisés, que le végétal soit considéré à sa juste valeur. La course à la productivité par la mécanisation m’interpellait. Jusqu’où irions-nous ? Pour éviter cela, il nous fallait valoriser notre travail. J’ai vu dans les démarches agroécologiques un bon moyen de communication et de valorisation, mais aussi une façon de sortir de la morosité, de m’informer, de me former, d’échanger, d’évoluer techniquement… Agrobio Gironde m’a accompagné pour le côté technique, et ce, grâce notamment à un financement régional. Et à partir de 2012, avec les Vignerons Bio Nouvelle Aquitaine, nous faisions les premiers salons spécifiques et Prowein.
ET LA BIODYNAMIE POUR ALLER PLUS LOIN
La conversion bio réussie, je reste dans une approche globale, holistique. C’est peut-être aussi ce qui me conduit sur les chemins de la biodynamie en validant la certification Demeter en 2018. Pour moi et contrairement à ce qu’on entend, la biodynamie n’a pas pour paradigme unique le calendrier lunaire… drôle de désinformation ! C’est surtout une approche traditionnelle du soin de la terre et accessoirement du compostage. Je le vois comme la première agriculture du vivant : des sols couverts, la limitation du travail du sol, l’agroforesterie… Les préparations que nous utilisons peuvent aussi s’apparenter à des thés de compost. Le soin que nous donnons au terroir est des plus précis. Faire un vin typique ne peut être réfléchi sans une démarche douce de la terre, qui n’est pas que minérale : le terroir est vivant ! La prochaine étape sera le diagnostic carbone de notre exploitation avec le « Pôle Bio et Transition Agricole » de la chambre d’agriculture. Depuis 15 ans, nous sommes dans une dynamique et nous avons raisonné : l’opportunité des passages des tracteurs, la ressource en eau – avec une récupération d’eau de pluie sur plus de 1 500 m2 de toiture, la diminution des consommations de GNR, avec divers curseurs comme les puissances utiles des machines, les vitesses d’avancement et le retour à certains travaux manuels, le poids de nos bouteilles, l’abandon de tout intrant de vinification hors sulfites.
TROUVER SON ÉQUILIBRE
Si je devais tirer des enseignements sur ces changements de pratiques, je dirais qu’il faut le faire progressivement, en veillant à l’équilibre économique de sa structure, tout en ayant du personnel qualifié et rémunéré à la hauteur des exigences et objectifs. Tout cela est complexe pour des propriétés de notre taille (30 hectares). Il faut chercher son indépendance commerciale « rapidement », s’assurer contre les aléas climatiques (de préférence à la hauteur du prix de revient), et se faire accompagner. La course à la technologie n’est pas une nécessité en soi, elle est assez souvent mal adaptée aux petites structures n’ayant pas toutes les compétences en interne. Nous pouvons éviter aussi de trop externaliser les travaux. Les rendements sont un vrai sujet. L’impact carbone de nos entreprises dépend du rendement, il faut arriver à évoluer sans pour autant s’attendre ou viser une baisse de celui-ci. Les aléas climatiques sont déjà là pour le faire !
Pierre-Henri Cosyns
© Pierre-Henri Cosyns