Le vigneron propose ici une réflexion sur la place des vignerons installés en hors cadre familial, et l’évolution de la viticulture locale et du territoire.
La saison s'écoule dans les vignes d'Olivier Renard, avant la préparation des vendanges.
LA SAISON CONTINUE À LA VIGNE
De semaine en semaine, la routine. Le mildiou continue à se développer. Avec la fermeture de la grappe imminente, le risque de pertes sévères s’éloigne, mais l’oïdium pointe son nez avec les nuits froides : je remets un peu de soufre dans mes potions... Le black-rot sévit un peu partout au grand dam des vignerons, mais je ne suis pas (encore) touché. Ouf. Au moins cette année nous aurons échappé au risque de sécheresse ... Rien de bien nouveau sous le - discret - soleil donc.
Je n’avais pas retenu que j’écris cet été mes deux derniers posts : le temps m’étant compté, je me permets à nouveau de digresser un peu, en vous livrant quelques réflexions : celle de l’ex-agroéconomiste, ex-«expert» du développement local et des filières... J’aborderai fin août la préparation des vendanges.
LES NOUVEAUX BIO HORS CADRE FAMILIAL : DES TROLLS UTILES ?
Les «trolls», voilà comment les gens du cru appellent avec un regard amusé les nouveaux installés en bio. J’en suis donc. Un qualificatif taquin qui soulève une question de fond : quelle est l’influence des trolls sur les pratiques agricoles d’un territoire donné ? Trolls et non-trolls bios ont des pratiques proches, les trolls étants souvent de plus petite taille, et moins portés sur la «propreté» des vignes. Souvent en s’appuyant sur les précurseurs bio, fleurissent ainsi des initiatives atypiques, innovantes, qui ne diffusent que peu aux vignerons du cru (retour du travail au cheval, agroforesterie, simplicité volontaire, cépage résistants, etc.). Héritant de leurs parents un domaine de taille plus importante, des équipements lourds, du personnel, etc., ces derniers sont davantage insérés dans le système agricole dominant. Le fruit d’une génération de dur labeur.
La «trollisation» de l’agriculture se ferait donc en déconnection d’avec le «réel» : Safer, FNSEA, chambres, ODG... ? Pas si sûr, car le réel, c’est aussi des consommateurs en demande d’exploitations à taille humaine, de biodiversité, de production saine ; le réel, c’est aussi une population d’agriculteurs en déclin ayant besoin d’une relève, trolls ou pas trolls. Reste donc au système agricole en place à intégrer cette population, à laisser à ces trolls l’opportunité de prendre leur part productive, environnementale et sociale dans le développement territorial, voire à les y aider activement.
LE NOUVEAU BEAUJOLAIS : UNE GÉNÉRATION DE RETARD ?
Mais comme partout probablement avec quelques nuances locales, la génération aux commandes dans le Beaujolais est celle qui s’est fait sa place au fil des années, ces années d’agriculture irraisonnée, d’absence de crise écologique dans les esprits des consommateurs, d’absence de pollution dans les médias, d’absence de cancers dans les statistiques officielles. Une génération brillante, travailleuse, innovante, mais au service d’un modèle périmé.
Ces élus à la chambre, dans les ODG, à l’Interprofession passent progressivement la main à la vigne à leurs enfants, qui eux, très souvent, sont en phase avec leur temps. Nombre d’entre eux passent en bio, d’autres pratiquent une viticulture exigeante, labellisée TerraVitis ou HVE, reprennent les charrues, plantent des haies, favorisent l’enherbement, développent les semis...On observe ainsi un hiatus croissant entre les vignerons et leurs instances dirigeantes, ce au détriment de l’image du territoire : comment condamner le glyphosate sans se dédire ? Comment appeler à une transition écologique du territoire alors qu’on a subi pendant des décennies les assauts des vendeurs de produits phytos ? C’est pourtant simple : il suffit d’afficher une volonté, de se fixer des objectifs progressifs, de rassurer en garantissant que «personne ne sera laissé sans solution». Et d’agir réellement en ce sens bien sûr, avec des moyens et une vision portée par tous.
LE NOUVEAU BEAUJOLAIS : UN POTENTIEL UNIQUE
Après le verre à moitié vide, le verre à moitié plein : le Beaujolais a le vent en poupe. Les consommateurs plébiscitent de plus en plus le gamay et ses vignerons. La demande de Beaujolais est supérieure à l’offre en 2021. Les paysages et le patrimoine sont superbes, une chance pour l’oenotourisme, voire l’agro-tourisme en Beaujolais vert. Alors pourquoi s’inquiéter ?
Vendre est une chose, bien vendre en est une autre, et c’est là que la qualité spécifique attribuée au vin importe : outre le vin lui-même, quelles valeurs y attache-t-on ? La convivialité en est une, mais est-ce suffisant ? Faut-il courir derrière la Bourgogne et le Bordelais pour vendre du luxe, ou derrière ceux qui prônent la fin du glyphosate et la biodiversité pour toucher les consommateurs de demain ?
Le Rhône dispose d’un capital social exceptionnel : un bassin industriel dynamique, innovant, créatif, des vignerons indépendants ultra-performants et ouverts aux nouvelles demandes du marché.
Pourquoi ne pas davantage favoriser l’innovation en mécanique, en électro-mécanique, en chimie verte pour offrir aux vignerons une alternative aux herbicides et aux pesticides dangereux pour l’environnement ? Capter le CO² des fermentations avec des technologies françaises, voire made in Rhône, valoriser les déchets, pour faire sa part de la lutte contre le réchauffement climatique ? Favoriser des dispositifs d’aide à l’installation des jeunes, qui peinent aujourd’hui à trouver un cuvage près de leurs vignes, alors que des cuvages vident dorment sous les constructions récentes... Bref, lâcher l’ancien monde pour prendre une longueur d’avance sur le nouveau... Rêvons un peu...
Olivier Renard.
LE PARTAGE D'OLIVIER :
Hier un excellent repas cuisiné par Sarah, notre woofeuse iranienne qui envisage de créer son restaurant, et des amis cavistes parisiens. Encore un beau moment d’échange comme seul le monde du vin peut en offrir il me semble. Peut-on parler avec autant de passion des carottes et des pommes de terre, aussi délicieuses soient-elles ? Ces quelques jours de woofing m’ont permis d’avancer sur mes traitements, le relevage, le piochage. Et ont favorisé aussi, comme à chaque fois, de nouvelles rencontres, de nouveaux échanges, toujours enrichissants...