Très impliqué dans le monde associatif professionnel, Pascal Doquet revient sur l’importance de ces instances pour faire avancer la filière bio, en communiquant, valorisant, formant, transmettant…
Alors que la moyenne française de surface de vignes bio est de 21,5 % (sur le vignoble total), notre région était, et est toujours, en retard, avec 8 % du vignoble en bio fin 2022 ! On peut y trouver des causes multiples, avec en premier lieu les risques élevés de contamination par le mildiou à cause des flux océaniques qui balaient régulièrement notre région. Les choix culturaux de nos anciens n’ont peut-être pas non plus été des plus adéquats pour nos cépages sensibles. La forte valorisation par les Maisons de Champagne de la récolte des producteurs de raisins ne les a pas non plus beaucoup incités à s’engager dans un parcours bio tant qu’une plus-value intéressante n’était pas proposée pour des raisins certifiés AB. Mais les choses sont en train de changer maintenant !
Apprendre la bio, mais aussi savoir la partager
Apprendre la viticulture biologique dans un vignoble complètement organisé autour de la chimie, et où cette dernière est vue comme une solution à la productivité et à la pénibilité, n’était pas chose facile en solitaire. J’ai beaucoup profité techniquement des premières formations organisées par l’Association des Champagnes Biologiques dès le début des années 2000. En retour, dès que j’ai validé mon engagement en certification bio, en 2007, j’ai intégré le conseil de l’ACB, qui comptait à cette époque à peine une vingtaine d’adhérents vigneron.ne.s. La bio dans le vignoble champenois ne représentait alors que 0,4 % des surfaces !
Communication vers les vigneron.ne.s
Apprendre ensemble était plus efficace, mais transmettre était aussi important pour moi. J’ai ainsi accueilli des rencontres, organisées par notre association, comme les Vignes Bio Ouvertes chez ses adhérents, traitant d’un sujet particulier différent à chaque rencontre. Nos missions , avec peu de moyens humains et financiers, ont aidé à toucher beaucoup de vignerons grâce au temps fourni bénévolement par nos adhérents motivés. Certains étaient aussi actifs dans les groupes constitués dans les réseaux des chambres d’agriculture et ont favorisé là aussi l’engagement des personnes ouvertes et prêtes à faire évoluer leurs pratiques.
Parcours en lien avec l’ACB depuis 2007
J’ai ensuite été secrétaire, puis président de l’ACB de 2016 à 2022. Je suis toujours très actif dans le conseil de l’ACB, mais je porte ces missions également dans d’autres organisations : la Fnab, France Vin Bio et le Syndicat Général des Vignerons de Champagne. L’ACB est la porte d’entrée vers le réseau Bio en Grand Est et Fnab. Nos moyens se sont décuplés quand nous avons enfin réussi à obtenir des financements de l’Agence de l’Eau Seine Normandie. Grâce à cela, un poste de chargé.e de mission est créé pour développer une filière Champagne Bio. Et ce, notamment au sein du monde coopératif. Dans ce milieu, s’engager en bio signifie d’abord affronter le groupe constitué en demandant un traitement à part de ses raisins. Par ce travail en amont sur la filière, nous avons pu entraîner le premier groupe coopératif de Champagne. Ce dernier a travaillé avec son réseau de centres de pressurages afin d’offrir la possibilité de vinification en bio à tout coopérateur à faible distance de ses vignes.
Se regrouper
C’est parmi les vignerons indépendants que l’ACB avait d’abord fait école, avec comme intérêt complémentaire au partage technique, celui de mutualiser les moyens de communication par la création d’un salon professionnel en 2010, Bulles Bio en Champagne. Si nos moyens étaient faibles, notre détermination et notre implication en commission nous ont aidés à faire évoluer le format. J’étais aussi l’un des membres fondateurs d’un autre groupe de vignerons « progressistes », Terres et Vins de Champagne, créé à l’initiative de deux jeunes vignerons visionnaires en 2008. Ce premier groupe innovait en proposant des dégustations professionnelles comparatives entre champagnes et vins clairs (les vins de la dernière vendange avant leur mise en bouteille). Il était composé d’environ une moitié de vignerons certifiés bio et l’autre s’étant affranchis de l’utilisation des herbicides. Nous avons certainement initié avec ces deux groupes une petite révolution en Champagne, attirant des professionnels du monde entier, par une approche pédagogique et mettant en valeur nos terroirs. Cette complémentarité s’est encore renforcée en regroupant deux salons dans la semaine du Printemps de Champagnes : de nombreux autres groupes de vignerons ont rejoint en avril ce temps fort de l’année champenoise. Le commerce n’avait et n’a toujours pas sa place sur ces salons. Il peut se faire en dehors. Cette approche militante et politique a eu des impacts jusque dans le marketing de certaines Maisons, les poussant également à s’approprier nos modes de culture dans leurs propres vignobles. Oui, nous avons montré que l’abandon des herbicides et la viticulture biologique sont possibles en Champagne !
Déclinaison à l’étranger
Avec l’ACB, l’aventure s’est doublée d’une édition itinérante des Champagnes Bio à l’étranger. Depuis 2015, nous sommes allés deux fois à Rome, à Copenhague, à Londres, à San Francisco, à San Sebastian, et cette année à Tokyo. Le marché japonais est un marché important pour le champagne. Nous avons pris en considération l’aspect bilan carbone d’une édition aussi loin de nos bases, mais y aller est aussi important pour nous pour continuer de montrer un autre aspect de la production champenoise et attirer l’attention sur le bilan écologique de la filière. Nos salons sont de belles occasions pour faire passer des messages plus politiques et nous avons pu organiser à Tokyo une master-class en abordant les sujets de l’évolution de la viticulture biologique en Champagne, l’usage des herbicides et les problématiques liées au réchauffement climatique.
Et en France et en Champagne
Nous n’oublions pas la France pour autant. Nous allons retourner pour la deuxième fois à Lyon en octobre 2024, où nous avions connu un beau succès pour la première édition en 2021 de « Lyon à Pleine Bulle ». Il me semble important pour tous ces salons de garder une organisation par des professionnels pour des professionnels. Nous travaillons ces organisations dans le cadre de notre commission « salons » de l’ACB . Nous cherchons des liens directs avec des partenaires sur place. Cela nous permet d’être authentiques et certainement plus convaincants. Évidemment cela vient souvent comme une charge de travail supplémentaire, charge que nous avons déjà souvent importante. Mais travailler en équipe, réfléchir ensemble et prendre chacun chacune sa part dans l’organisation est vraiment gratifiant et enrichissant. Nous avons commencé à organiser depuis trois ans un autre rendez-vous destiné au grand public, « Les Champagnes Bio à Reims », pour montrer sur nos propres terres qu’une autre Champagne est possible et souhaitable. Si le succès n’est pas encore au niveau de nos autres salons, le plaisir de partager dans les rues de la ville rémoise de joyeux moments entre bio continue de resserrer nos liens. Bien sûr, nous relayons toutes ces actions également sur nos pages facebook et instagram, après nous être offert une formation collective pour utiliser ces réseaux. N’hésitez pas à nous suivre !
Pascal Doquet