Fin octobre, cinq vignerons du Muscadet se rendent en Suisse, dans le cadre de leur groupe 30000 Ecophyto, à la rencontre de vignerons bio et leurs conseillers. Florent Banctel, conseiller viticulture à la chambre d’agriculture des Pays de la Loire, revient sur ces temps forts d’enseignements : couverture du sol et essais de paillages, gestion des terrasses, plantation, traitements par drones, variétés résistantes…
« L’enjeu de ce déplacement est de pouvoir stimuler la performance des domaines, en allant voir des pratiques durables, et ce, dans un contexte de production radicalement différent du Muscadet , témoigne Florent Banctel. Car malgré ces différences – climat, cépages, fortes pentes, règlementation –, les vignerons suisses sont aussi confrontés à des problématiques de gestion des sols et des parasites, d’évolution du climat, de besoins en main-d’œuvre compétentes, de bien-être au travail… »
Maîtrise des enherbements
La couverture des sols, avec des enherbements naturels maîtrisés et le semis de couverts est une base pour toutes les entreprises visitées. Ces dernières développent la fertilité des sols, pour plus de portance et d’équilibre de vigueur, pour moins d’érosion et pour favoriser l’expression du terroir dans les vins. David Marchand, conseiller viticole au Fibl, travaille entre autres avec le Domaine Chappaz, en biodynamie, à Fully, dans le Valais. Ici l’enherbement est maîtrisé, en alternance avec des semis de couverts un inter-rang sur deux, et avec des plantes relais composées de brome, trèfle incarnat et luzerne lupuline. « L’objectif est de maintenir un sol couvert en permanence par la succession des cycles des plantes et des re-semis naturels ». Le semis est réalisé à la main pendant la période des vendanges, après un griffage de surface et la première pluie vient rappuyer le sol. Le travail au cheval, choisi au départ est aujourd’hui délaissé car les terrasses sont trop étroites. À ce jour, le minimum de travail du sol est réalisé, au profit de la tonte inter-ceps (rotofil).
Tester la paille
Des essais de paillage avec tapis de chanvre sont réalisés par Marie-Thérèse Chappaz : « mais cela me convient peu. Ils sont longs à installer, se dégradent rapidement sur des sols vivants, ce qui les rend onéreux, attirent la faune sauvage et sont trop étanches pour le sol. Ils pourraient éventuellement être utilisés sur des plantations ». La vigneronne tente aussi les paillages à la paille de blé, ce qui lui donne plus de satisfaction : « cela prend du temps à installer mais je m’y retrouve dans la gestion des adventices, la gestion du stress hydrique avec la couverture du sol, la stabilité et la fertilité du sol. »
L’intérêt des terrasses
Pour donner plus de durabilité au travail, l’établissement, dans le vignoble suisse, des vignes en terrasses ou en banquettes favorise la mécanisation, mais aussi la production, le recrutement de main-d’œuvre et les reprises d’exploitation. Didier Ancay, conseiller viticole et arboricole spécialisé en irrigation, encourage ces façonnages pour maintenir une viticulture durable, minimiser l’érosion liée à l’activité viticole mais aussi mieux consommer l’eau : « ici l’eau coule des montagnes depuis toujours, mais avec l’évolution du climat et la fonte des glaciers, la régulation de l’usage de l’eau va vite évoluer, notamment pour la viticulture, qui n’est pas considérée comme essentielle ». Dans ces zones en fortes pentes, les domaines sont à la recherche du minimum de travail du sol sur les cavaillons. Didier Ancay teste l’implantation de fraisiers : « ils couvrent le sol assez rapidement grâce aux stolons et ont besoin de peu d’eau pour se développer » .
Réguler la chaleur des murets
Sur le secteur de Lavaux, inscrit au patrimoine de l’Unesco, la ville de Lausanne possède des vignes dans le Dézaley, conduites en bio, au niveau du Clos des Abbayes. Ces pentes viticoles abruptes réputées pour leurs chasselas et clichés exceptionnels sont façonnées en terrasses aux murs de pierres plongeant dans le lac Léman. La vigne y bénéficie des trois soleils : le soleil direct, le soleil du lac Léman et le soleil des murs en pierre bordant les terrasses. Luc Dubouloz et Doris Sommer, co-responsable et cheffe de culture au Clos des Abbayes, préservent l’enherbement et sèment un couvert un inter-rang sur deux pour les mêmes raisons que leurs collègues vignerons mais aussi parce que cela a un effet régulateur de la chaleur près des murs en pierre. « Près des murs, il peut y avoir 10°C de plus, la vigne peut vraiment souffrir à ces endroits, témoignent les techniciens. Les couverts semés participent aussi à la fertilisation avec l’utilisation des légumineuses. Nous avons beaucoup avancé ces dernières années en testant plusieurs mélanges en partenariat avec le Fibl. »
Couverts utiles à la plantation
C’est aussi pour les plantations que l’agronomie prend son sens : la préparation des terrains doit inclure des couverts pour structurer, fertiliser le sol, le faire respirer. Cela favorisera d’autant plus l’exploration racinaire en profondeur et en étoile. Philippe Borioli, pépiniériste rappelle bien que les charrues et les outils rotatifs peuvent vraiment impacter négativement l’enracinement de la vigne en créant des semelles : « Ces outils sont souvent utilisés dans des conditions non convenables. Cela pénalise l’enracinement et donc la robustesse des vignes. Il faut travailler avec la fertilité biologique du sol, en utilisant des couverts. Nous arrivons à de très bons résultats d’ameublissement du sol sans labour et sans rotavator par exemple mais cela nécessite d’anticiper les semis d’engrais verts. »
S’organiser pour les traitements
Au domaine Maison Carrée, en biodynamie, à Auvernier près de Neuchâtel, outre les engrais verts semés un inter-rang sur deux en alternance avec un enherbement naturel maîtrisé, les brebis pâturent dans les vignes une partie de l’hiver. Et ce, pour retarder la pousse de l’herbe et donner plus de flexibilité d’intervention au printemps. « Mais attention à ne pas laisser les brebis trop longtemps et/ou trop nombreuses sur une parcelle : elles mangent les bourgeons et mastiquent les bois ! » , indique le vigneron du domaine. Pour une partie de la fertilisation, le domaine réalise son compost à base de marc, de fumier et de déchets verts. L’utilisation des extraits de plantes et de lait cru écrémé fait partie des solutions anti-cryptogamiques. Les premiers sont réalisés par une entreprise locale qui en fabrique pour plusieurs vignerons qui exploitent une centaine d’hectares sur le même secteur. Le second est utilisé à raison de 8 L/ha avec 60-70 % d’efficacité en année à pression moyenne. « Mais cette année les vignes ont décroché en juillet avec environ 1 500 mm de pluies cumulées de septembre 2023 à septembre 2024. » Dans la démarche du domaine, il y a une volonté d’agir collectivement en local pour plus de réactivité. Aussi, malgré le morcellement parcellaire et pour plus d’efficacité, les vignerons traitent des groupes de parcelles : les leurs et celles de leurs voisins. Une entente claire et le respect des différents cahiers des charges sont évidents.
Possibilité des traitements par drones
Au Clos des Abbayes, malgré les trois soleils, l’humidité du lac favorise tout de même l’oïdium et le mildiou. Pour traiter les terrasses, le domaine fait le choix du drone plutôt que l’atomiseur à dos. La qualité de pulvérisation est équivalente à l’hélicoptère et nécessite donc un entretien particulièrement soigné des travaux en vert pour que les produits de contact soient efficaces : ébourgeonnage, dédoublage, effeuillage, rognage, écimage, palissage. La logistique d’approvisionnement en bouillie est similaire à la pulvérisation « à dos », mais en comparaison, les traitements sont beaucoup moins fatigants. Le domaine gagne en bien-être et en flexibilité d’intervention. Idem, les années peu propices aux maladies, Marie-Thérèse Chappaz utilise la prestation de traitement par drone au lieu des atomiseurs à dos pour diminuer la pénibilité. Les années à forte pression maladie, pour plus d’efficacité, elle complète avec l’atomiseur à dos pour sécuriser le ciblage. Et en 2024, l’effeuillage est sévère pour optimiser la qualité de pulvérisation. Pour les cépages sensibles comme le merlot, la régulation du nombre de grappes dès la taille aide à limiter les pertes liées aux maladies (une grappe par sarment).
Florent Banctel
(crédit photo F.Banctel)
Production de variétés hybrides
La marque de fabrique du pépiniériste Philippe Borioli, adhérent Piwi, est le développement de variétés hybrides. Il travaille conjointement avec Valentin Blattner sur l’élaboration de nouvelles variétés et la production de plants bio. Le pépiniériste précise bien que cette dernière est plus onéreuse et contraignante. À noter qu’en Suisse, les pépiniéristes peuvent commercialiser un nouveau cépage ou une nouvelle variété hybride sans contrôle spécifique des instituts techniques. Sur les nouveaux hybrides, le pépiniériste précise bien qu’il faut un minimum de traitements pour préserver la résistance et lutter contre les maladies « secondaires » comme le black rot. Il fait remarquer aussi que si les plants sont vigoureux l’année de la plantation, il ne faut pas hésiter à les monter au fil au lieu de les rabattre à deux yeux, cela n’impacterait pas le développement racinaire… En rabattant un plant vigoureux à 2 yeux, celui-ci risque de développer des sarments avec des grands entre-noeuds l’année suivante. « Le plus important est de ne pas récolter les deux premières années et de vraiment réguler à partir de la 3e année. » À noter que pour faciliter l’itinéraire technique depuis la plantation (entretien du sol, taille de formation, traitements…), la pépinière développe des plants hautes tiges de 42-50-65 et 85 cm.