Vin bio en vrac : bientôt un prix de référence construit par la production et le négoce ?

Le 10/04/2025 à 15:50

La Coopération agricole-Vignerons coopérateurs se saisit du droit européen pour déroger au droit de la concurrence pour les vins bio et HVE. Des accords de durabilité assureraient, dès les vendanges 2025, la définition d’un prix d’orientation pour ces vins, plafonné à + 20% des coûts de production, et établi en partenariat entre la production et le négoce. Une première en Europe.

« Nous nous sommes emparés de ce sujet nouveau, un outil innovant inscrit dans le règlement européen », annonce Joël Boueilh, vigneron dans le Gers et président de La Coopération agricole-Vignerons coopérateurs de France. En effet, l’article 210 bis du règlement UE 1308/2013 (1) offre la possibilité de déroger au droit de la concurrence pour des productions agricoles, en créant des accords de durabilité, si ces derniers aident à atteindre des niveaux de durabilité supérieurs à ceux imposés par le droit de l’Union ou le droit national. En clair, si ces derniers aident à maintenir des productions agricoles engagées dans des pratiques durables. « Nous travaillons avec la Commission européenne depuis plus d’un an sur le sujet. Nous sommes les premiers à plancher dessus. Aucun autre dossier n’a été déposé. » Les DG Agri et DG Concurrence instruisent conjointement ces dossiers.

Maintenir les domaines engagés environnementalement

Les vignerons coopérateurs y voient tout de suite une opportunité, dans un contexte de crise viticole, pour soutenir les producteurs engagés dans les démarches environnementales, plus particulièrement en bio et en HVE. « Clairement, il ne faut pas que ces vignerons abandonnent ces démarches. Nous devons maintenir cette dynamique positive et faire en sorte que ces vignerons engagés restent sur le marché. » Ludovic Roux, vigneron bio à Talairan dans l’Aude, président délégué de la Coopération agricole d’Occitanie, et vice-président du groupe vin à la Copa-Cogeca, a suivi le lancement du projet au niveau européen. « C’est une avancée politique. Parler de prix collectif au niveau européen était impensable il y a quelques années. Nos dirigeants prennent conscience que laisser le marché tout réguler ne fonctionne pas. Ce projet est un premier outil pour mieux positionner les agriculteurs dans la chaîne de valeur. »

Établir un prix de référence

Concrètement comment cela fonctionne ? L’idée est d’abord d’établir un débat entre la production et le négoce, au niveau régional, pour atteindre un accord dit « vertical ». « Les interprofessions sont les structures les plus à même pour organiser ces accords, mais cela n’est pas obligatoire », indique Joël Boueilh. L’enjeu est de définir un prix, servant de référence, d’orientation, pour fixer les transactions de vins bio ou HVE, et ce, pour les caves coopératives et particulières. « Ce n’est pas la fixation d’un prix de vente, soyons clairs, mais bien un signal de prix, un prix auquel on se réfère, aidant à orienter le prix d’achat entre deux parties. » Une communication sur ce prix est réalisée si un consensus est atteint. Sinon, un accord dit « horizontal », peut être défini entre les acteurs de la production. En outre, ce prix d’orientation est annuel mais est révisable en cours de campagne et/ou l’année suivante. « C’est une vraie plus-value. Même si cela n’engage pas les acheteurs, cela aide dans les négociations, surtout si ces mêmes acteurs ont participé aux discussions et définit le prix, évoque Joël Boueilh. Et a minima, fixer un prix commun entre les acteurs de la production, peut éviter de tirer les prix vers le bas, lorsqu’un négociant fait le tour des opérateurs. »

Joël Boueilh et Anne Haller, président et directrice des Vignerons coopérateurs de France présentent les accords de durabilité lors d’une conférence de presse le 8 avril. (©Vignerons coopérateurs)

+20% max du coût de production, bio et HVE traités séparément

Ce prix d’orientation est calculé grâce à l’analyse des coûts de production, via des méthodes objectives et représentatives comme celles des centres de gestion, basée sur la comptabilité des entreprises. « Il s’agira de faire une moyenne par appellation, avec une modulation selon les rendements des cépages. » Ce prix sera plafonné à +20% du coût de production. « Si certains craignent que ce plafond mette un frein à un niveau de rémunération, nous estimons que cela est déjà très supérieur à ce qui peut se pratiquer actuellement. Cela reste donc positif. » En outre, les prix d’orientation pour les vins bio sont établis de façon indépendante à ceux pour les vins HVE. « Les réunions doivent se tenir séparément entre bio et HVE et ne traiter exclusivement que du sujet prévu. »

Sud de la France et vin en vrac

Seuls les vins bio et HVE en vrac sont concernés, et ce, pour les régions Occitanie, Vallée du Rhône et Nouvelle-Aquitaine. « Ce sont les régions les plus impactées par l’arrachage et les difficultés financières, mais aussi celles où l’on trouve le plus de volumes de vins certifiés bio et labellisés HVE. » Les accords seraient fixés pour deux ans, avec un renouvellement possible après évaluation. Les vignerons coopérateurs ont déposé leur dossier le 21 mars 2025 à la Commission européenne, avec une demande détaillée pour l’Occitanie, où 30 % du volume de vin bio de la région est produit en cave coopérative en 2023. « La zone Pays d’Oc est concernée dans le dossier. Et ce, pour six cépages : merlot, cabernet-sauvignon, grenache, cinsault, chardonnay, sauvignon, détaille Anne Haller, directrice de Coopération agricole-Vignerons coopérateurs. Inter Rhône nous a confirmé son souhait de s’engager également. Nous pourrons déposer d’autres dossiers ultérieurement pour ces autres régions. » La réponse de la Commission, confirmant l’autorisation de la mise en place de ces accords est attendue pour juillet. « Une fois l’accord reçu, nous pouvons engager les discussions, afin d’avoir un prix d’orientation pour les vendanges 2025. »

Une opportunité pour la filière bio

« Cela va dans le bon sens pour valoriser le travail des vignerons bio, et réussir à les maintenir sur le marché, réagit Olivier Goué, directeur de Sudvinbio, association interprofessionnelle de la viticulture bio d’Occitanie. +20% des coûts de production seraient déjà une bonne marche à atteindre. Même s’il faut recalculer à quoi cela correspond réellement et le comparer avec les mercuriales actuelles. » L’interprofession bio occitane a déjà travaillé sur les coûts de production de la filière vin bio. « Il faudra bien les redéfinir, mais nous savons qu’ils sont élevés. À voir donc, quel prix d’orientation pourra être proposé, et si les négociants, et surtout les distributeurs l’acceptent. Nous allons évidemment suivre ce dossier de près. » Dans ce contexte de crise du vin, où le bio n’est pas épargné, la Coopération viticole d’Occitanie a toujours défendu un message clair : « Nos élus se sont toujours positionnés sur le fait de ne pas faire décrocher les prix du vin bio, déclare Delphine Antolin, en charge de l’animation de la filière viticole bio à la Coopération agricole d’Occitanie. Quitte à le déclasser, plutôt que de le vendre sur des prix effondrés. Nous espérons que ces accords vont aider à poursuivre dans la valorisation du vin bio. » Ludovic Roux y voit deux points de vigilance : « Il faudra trouver le compromis entre un prix d’orientation rentable pour les producteurs, mais crédible pour les négociants et les distributeurs. Et autre aspect : ces prix d’orientation ne doivent pas devenir un prix moyen quelles que soient les situations. Ce montant doit être étudié au cas par cas, c’est fondamental. »

 

Frédérique Rose

(1) Article prévoyant l’exclusion de l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne pour les accords de durabilité des producteurs agricoles et lignes directrices relatives à cet article, publiées en décembre 2023.

Le vin bio issu des coopératives

 

  • 23 % du volume de vin bio mis sur le marché en 2023 provient des caves coopératives (vs 29 % en 2022)
  • 0,61 MhL de vin bio mis en marché (2023) vinifiés par les coopératives
  • 302 caves coopératives engagées en bio sur 550 au total. Soit 55 %

Focus Occitanie

  • 29 % de la production bio de la région provient des caves coopératives en 2023
  • 460 000 hL produit en 2023 par les caves coop – dont la moitié amenée par moins de 5 caves coopératives
  • 19 % de la surface viticole bio en 2023
  • 80 % du volume bio des caves coop commercialisé en vrac

Focus Nouvelle-Aquitaine (NA)

  • 18 % des surfaces viticoles bio de NA sont pour la coopération (sur 26 834 ha en 2023)
  • 18 % des vignerons engagés en bio de NA sont coopérateurs (sur 1957 en 2023)
  • Plus des 2/3 des caves coop de NA sont engagées en bio, soit 30 caves coopératives et 3 unions de caves.

 

Sources : Agence Bio – Sudvinbio – Coopération agricole Occitanie – Interbio Nouvelle-Aquitaine et Vignerons Bio Nouvelle-Aquitaine