Millésime BIO / Témoignages d’exposants :
« On reste positif ! Et on croit à l’avenir du vin bio ! »

Le 31/01/2025 à 12:03

9 500 visiteurs ont arpenté cette semaine les allées de Millésime Bio : une stabilité du visitorat vue positivement par les organisateurs. Si la plupart des vigneronnes et vignerons rencontrés ne cachent pas leurs difficultés, ils restent néanmoins très confiants. Nouvelle stratégie commerciale, cuvée originale, exploration de débouchés, positionnement de sa gamme : retrouvons quelques témoignages d’exposants.

« Commercialement, l’année 2024 s’est mieux passée que 2023. Je sais que j’ai vendu un niveau correct de bouteilles », décrit Florent Boutin du Mas des Cabres, situé à Asperes dans l’est du Languedoc. 35 000 à 40 000 bouteilles sont produites à l’année, à destination de cavistes et grossistes français, mais aussi pour l’export (États-Unis, Royaume-Uni, Belgique). « En 2023, nous avions senti que nos clients souffraient beaucoup et espaçaient leurs commandes. Cela a été moins le cas cette année. Nous remarquons aussi que certains ont trouvé un filon et augmentent leurs ventes. » Le vigneron donne l’exemple d’un bar en face de la rade de Sète ayant vendu en une saison 3 500 bouteilles de deux références de ses blancs. « Et pour lesquels, il m’avait demandé une capsule à vis. » Florent Boutin fait aussi le choix de ne pas augmenter ses tarifs. « À l’automne dernier, j’ai réalisé une promo sur certaines cuvées de rouge, qui a bien marché. » La recherche des petits prix par les clients est quand même ressentie par le vigneron. « J’ai proposé à un client deux références n’ayant que 20 centimes d’écart en prix bouteille HT pour palette, et ce dernier a choisi la moins chère. » En cuvée récente, le vigneron propose Instinct Sauvage, en 100 % floréal, variété résistante, grâce à une parcelle plantée en 2020. « Je prévois aussi de surgreffer une parcelle de merlot en souvignier gris. » Le vigneron réfléchit également depuis un moment à la diversification. « Mais ce n’est pas si évident que cela. Pas simple de trouver la production adéquate, facile à produire et ne souffrant pas de la concurrence de prix bas proposés par des étrangers. »

Florent Boutin, du Mas des Cabres, situé entre Nîmes et Montpellier, sur les premiers contreforts des Cévennes.

Miser sur les cépages autochtones

« Nous avons voulu parier sur le retour du terret blanc, un cépage patrimonial de l’étang de Thau. Et c’est un pari réussi ! », s’enthousiasme Damien Babel, directeur d’exploitation du Domaine Guizard à Lavérune dans l’Hérault. Deux hectares, conduits en gobelet, ont été plantés sur le domaine de 40 ha. Millésime Bio est l’occasion de présenter les premières bouteilles de cette nouvelle cuvée appelée Blanc léger. « Nous avions envie de reconquérir les jeunes, avec un vin blanc plus léger, plus facile à boire. » Le cépage fait naturellement 9,6 degrés à la parcelle. « Je craignais qu’il ne soit pas mûr à ce degré. Mais nous avons été rassurés ! Le vin, à 10 degrés en bouteille, est mûr au nez et à la bouche, sans astringence. Il équivaut un blanc de 12-13 degrés. » En outre, le vin est doté d’un bouchon en liège à tête, ne nécessitant pas de tire-bouchon. « Cela facilite sa dégustation en tout lieu, tout en gardant le bruit du débouchage ! C’est adapté aussi pour les brasseries et restaurants recherchant les facilités d’ouverture et de fermeture, notamment pour la vente au verre. » Les premiers retours des visiteurs venus goûter la cuvée sont très positifs. Côté vision commerciale, Damien Babel avoue qu’il est très difficile de se projeter. « Nous n’avons pas beaucoup de données claires, l’environnement reste incertain. » Pour le domaine, l’export, qui représente jusqu’à 50 % du chiffre d’affaires est à la baisse, surtout en Norvège, au Danemark et Pays-Bas. « Mais cela se maintient en Suisse et en Allemagne. » En revanche, la vente directe continue d’augmenter. « Nous sommes en plein centre-ville, et nous bénéficions d’un très grand réseau amical et familial car le domaine existe depuis 1580. L’existence de ce marché solide nous rassure. » D’autre part, grâce à des partenariats avec des négociants locaux bio, la vente du vrac continue de bien fonctionner. « Le CHR est le circuit demandant le plus d’énergie et le plus compliqué à développer et même à maintenir. »

Damien Babel du domaine Guizard présente le Blanc léger, à base de terret blanc.

« La bio deviendra le standard de la viticulture »

« En 2024, 40 hectares de vignes de la cave débutent leur conversion bio, indique Denis Crespo, directeur de la cave coopérative de Cairanne dans le Vaucluse. Et les vignerons impliqués n’ont pas peur !  » Sur les 1 088 ha de la cave, 450 sont en bio (produisant environ 9 000 hL), cultivés par une trentaine de coopérateurs (sur 118). « Je continue d’encourager les conversions. Selon moi, la bio deviendra le standard. » Toutefois, le directeur ne cache pas les difficultés. « Le marché bio du vrac est mort. C’est pourtant encore 55 % de nos volumes. En 2024, j’ai déclassé 2 000 hL. Il me reste environ 3 000 hL en stock. En décembre, on m’a fait une offre à 125 €/hL de vin bio ! Une insulte ! » La cave tente, au maximum, de passer ce volume en bouteilles. « D’où notre présence entre autres à Millésime Bio ! » Denis Crespo a confiance en l’export. Ce circuit représente 25 % du chiffre d’affaires et l’objectif de 2025 est de se structurer sur ce créneau, via les salons pros. « Les pays nordiques, l’Allemagne et le Canada veulent du vin bio. En nouveaux marchés, nous regardons aussi du côté de l’Asie : Corée du Sud, Malaisie, Thaïlande. » En France, la cave de Cairanne surfe aussi encore sur l’effet de sa nomination de meilleure cave coopérative de 2024 par La Revue des Vins de France . « Nous avons également une progression à deux chiffres tous les ans, depuis quatre ans, grâce à Biocoop, à qui nous pouvons apporter volume et régularité de produits. » Globalement, Denis Crespo reste optimiste. « La cave a fait un dépôt de bilan en 2014, est en redressement judiciaire depuis décembre 2015 avec 8 millions d’euros à rembourser sur 14 ans, sans droit à l’emprunt ni au découvert… et nous sommes debout ! Malgré des confinements…de l’inflation. Cela est donc signe d’une vraie performance économique. » La vraie difficulté cependant : le manque de trésorerie. « Nous n’avons qu’un mois de visibilité, au lieu de six auparavant. »

Denis Crespo, directeur de la cave de Cairanne, motivé par le développement du bio au sein de sa coopérative.

 

S’installer vignerons bio en 2024

C’est ce qu’on fait Christine et Stéphane Gautrot, couple désireux de changer de vie, en s’engageant avec Arnaud Iffat, œnologue. À Montels, dans les coteaux de Gaillac, ils reprennent 4 ha en bio et créent le domaine de Puech Roques. « Les anciens propriétaires faisaient du vrac. Nous avons décidé de nous orienter vers la commercialisation bouteille et nous avons donc imaginé notre gamme, notre identité visuelle, témoignent-ils. Et nous développons évidemment notre réseau de distribution, encore inexistant il y a quelques mois de cela ! » 24 000 premières bouteilles sont prévues pour 2025. La ligne directrice du nouveau domaine : se positionner notamment sur un créneau différent de ce que l’on trouve en Gaillacois. « 60 % de nos vins sont des vins de printemps, à boire dès le mois de mars. Et ce, sur les trois couleurs et avec un pet’nat’ blanc. Ces vins seront en IGP ou Vin de France. » Les néo-vignerons ciblent les trentenaires, pas forcément connaisseurs de vins, cherchant des vins pour l’apéro ou des repas simples. « Nous assumons cette production de vins légers, à 12 % vol, au profil très caractéristique, qui risque de ne pas plaire à tout le monde. » Le P’tit Roques rouge par exemple est un assemblage de duras (90 %) et de syrah (10 % et en macération carbonique). Les Gautrot et Arnaud Iffat gardent cependant, pour 40 % de la production, l’élaboration de vins de terroirs, plus structurés et plus complexes, en blanc et rouge et avec une bulle gaillacoise . « Avec les cépages traditionnels du secteur : duras, braucol et mauzac. » Les circuits de distribution visés sont 20-30 % d’export, 40-50 % en CHR et 20-30 % de vente directe. « Nous savions en nous installant que le commerce était tendu. Pour cette raison, nous cherchons à nous positionner sur certains créneaux. » À plus long terme, les vignerons veulent explorer le conditionnement en canettes pour l’export. « Et la désalcoolisation. Je pense que c’est une tendance forte », estime Stéphane Gautrot. Millésime Bio est donc une grande première pour le nouveau domaine. « Nous n’avons pas encore de clients établis, nous savons que cela demande du temps avant d’être reconnus et que nous devons continuer à aller chercher nos clients. Mais en bilan de fin de salon, nous avons 12 prospects qualifiés. » Les nouveaux installés sont aussi co-propriétaires, avec une centaine d’autres personnes, d’une parcelle achetée en financement participatif, via Terra Hominis. « C’est une bonne source de contacts pour développer notre commercialisation. Et nous nous lançons évidemment tous les trois dans des tournées de prospection auprès de cavistes et revendeurs. »

Stéphane Gautrot, Arnaud Iffat et Christine Gautrot se lancent dans l’aventure du vin bio en reprenant le domaine Puech Roques en 2024.

 

Frédérique Rose