Depuis le début des années 2000, Pascal Doquet cherche à produire des champagnes singuliers, à l’expression minérale marquée. Ce changement de cap induit l’arrivée d’une clientèle différente, majoritairement dédiée à l’export. Retour sur les stratégies commerciales du champenois.
Nouvelle gamme et nouvelle marque
Dès que je suis devenu totalement indépendant en 2004, j’ai reçu la visite d’importateurs à la recherche de champagnes d’un style plus naturel, venus via le bouche-à-oreille, et parce que j’avais déjà fait connaître la qualité de la production de mes parents en étant référencé dans des guides importants. La minéralité plus marquée de mes vins, est à mettre en relation avec l’abandon des herbicides que mon père utilisait, comme l’immense majorité des vignerons champenois à la fin du siècle dernier. La culture des sols de nos vignes avec un couvert presque permanent était un élément très remarqué dans le paysage. J’ai créé ma propre marque cette année-là, afin de bien pouvoir distinguer les cuvées élaborées précédemment, pour la marque familiale de mes parents, des nouvelles cuvées que j’avais commencé de produire en mettant en valeur nos terroirs séparément. À aucun moment je n’ai envisagé de vendre une partie de ma récolte autrement qu’en bouteille, prolongeant ainsi le choix commercial de mes parents.
Mettre en valeur le terroir
La notion de marque est primordiale pour la commercialisation en champagne. Avec une seule AOC pour toute la région, les Maisons de négoce appuient leur commercialisation sur le nom de leurs cuvées, avec un marketing déployé à grande envergure, bien plus que sur les terroirs d’origine des raisins qui les composent. Le « goût maison » est mis en avant et la régularité de sa persistance à travers l’art de l’assemblage. La puissance commerciale de ces marques est ancienne et a largement contribué à la notoriété de nos vins à bulles. Bien sûr, tous les opérateurs champenois profitent de cette force commerciale incomparable. Les parts de marché des Maisons de Champagne dépassent 70 %, tandis que celles des vignerons représentent environ 20 %, complétées par un peu moins de 10 % pour les marques de coopératives. Dans ce contexte, mon choix de développer une gamme articulée sur des cuvées mettant en valeur les différents terroirs que je cultivais était un contrepoint qui allait intéresser une nouvelle clientèle à la recherche d’authenticité.
Oser un style différent
Avec quelques dizaines d’autres vignerons à cette époque, nous avons contribué à raviver l’intérêt des professionnels du vin un peu partout sur la planète. Nous avons montré que nos vins de Champagne pouvaient refléter la diversité de nos terroirs et s’éloigner d’un produit assez standardisé, dont la destination était la célébration festive ou familiale. Nos champagnes s’invitent maintenant davantage à table, avec des accords renouvelés avec des nourritures élaborées, et ne restent plus cantonnés au rôle d’apéritif ou de vin de dessert. Nous avons largement réduit les dosages de liqueur de nos cuvées et nous avons éduqué nos partenaires et prescripteurs à ce style de champagne davantage porté par la salinité des minéraux.
Nouvelle distribution
Avec mon épouse Laure, qui a pris en charge les relations commerciales et l’accueil au domaine, notre pari était de distribuer notre production en nous appuyant sur un réseau de partenaires professionnels, principalement des importateurs, capables de devenir nos ambassadeurs. Depuis 2010, nous avons un agent à Paris et depuis 2022, un à Beaune et un autre à Marseille. Le travail à la vigne et au chai est une charge déjà largement suffisante pour occuper mon temps disponible. Pour autant, nous avons choisi de garder un accueil pour des dégustations au domaine, et ce, pour entretenir un lien convivial avec les consommateurs de nos champagnes. Ce positionnement nous a totalement éloignés de la clientèle de mes parents, à la recherche d’un petit champagne à prix vigneron. Avec ces nouveaux partenaires venant à notre rencontre, il nous a fallu intégrer, dans nos tarifs publics, la marge commerciale qui leur était nécessaire. Et ce, afin de ne pas leur faire de concurrence par la vente à la propriété. Notre démarche a été bien accueillie par le marché international. Nous avons ainsi fait la bascule de nos réseaux de distribution en quelques années, en développant surtout des marchés à l’exportation. L’export n’était pas un choix a priori, mais plutôt la conséquence de l’intérêt plus marqué par ces marchés pour cette nouvelle représentation de la Champagne dont nous faisions partie.
Quelques salons vitrines
Nos démarches commerciales ont été très restreintes, mais bien ciblées. En 2008, d’autres vignerons, travaillant dans un esprit proche du nôtre, avec le respect d’un travail du sol sans herbicides, nous ont proposé de fonder avec eux Terres et Vins de Champagne. La grande innovation de ce groupe a été de présenter à des visiteurs professionnels, lors d’une dégustation annuelle le troisième lundi d’avril, les « vins clairs », c’est-à-dire les vins de base issus de la dernière récolte, avant qu’ils soient assemblés avec les vins de réserve pour la mise en bouteilles de nos cuvées. Cette approche avant tout pédagogique, cette transparence sur la matière première montrant les maturités abouties des raisins et la qualité des vins obtenus, nous ont permis de rencontrer un grand succès auprès des professionnels. Notre groupe a été rapidement copié et recopié. Puis, la dégustation annuelle que l’Association des Champagnes Biologiques organisait en octobre, Bulles Bio en Champagne, a aussi été déplacée à cette période printanière plus propice aux rencontres commerciales. Nous avons finalement proposé aux autres groupes qui avaient positionné leur dégustation autour de la nôtre, de rassembler nos dégustations sous la bannière « Printemps des Champagnes », avec une charte qui impose la dégustation d’au moins un vin clair, et pas de documents commerciaux ou tarifs sur les lieux des dégustations.
Puis Millésime Bio
Depuis 2020, nous avons choisi de participer également à Millésime Bio à Montpellier. Notre objectif était de rencontrer davantage de professionnels français pour développer notre réseau en France. Nous avons été récompensés par de belles rencontres et de nouvelles présences sur des cartes de restaurants et des rayons de cavistes que nos champagnes ont séduits. La fréquentation du salon est aussi largement internationale. Nous y retrouvons certains de nos importateurs habitués des lieux. Nous avons aussi pu compléter notre représentation sur quelques marchés où nous n’étions pas encore présents. Même si trois jours de salon c’est assez coûteux en temps de présence, cela reste un bon investissement.
Pascal Doquet
(crédit P.Doquet)
Le partage de Pascal : Millésime Bio, au-delà de l’objectif commercial
Millésime Bio n’est pas seulement pour moi un salon commercial. C’est aussi l’occasion de rencontrer des vigneronnes et vignerons des autres régions de France, d’autres pays, et de tisser ainsi un réseau relationnel qui enrichit la pratique de notre métier. L’assurance d’avoir toutes et tous en commun cet engagement pour la viticulture biologique est un terreau fertile aux conversations (et aux dégustations !). Les échanges sont d’autant plus possibles que nous sommes deux à tenir le stand, mon épouse Laure et moi. Je reconnais d’ailleurs être le moins assidu des deux sur notre stand, car Millésime Bio offre l’opportunité de discuter avec d’autres vignerons engagés, responsables professionnels, au sein des organisations viticoles bio. Ces échanges sont importants car souvent limités en visio-conférences le reste de l’année. Millésime Bio est enfin le lieu pour échanger avec des journalistes spécialisés qui nous soutiennent !