Les sécateurs de sortie dans les vignes, Pascal Doquet en profite pour présenter ses réflexions autour de la taille : entre tradition et méthodes émergentes, avec notamment le développement de la taille non mutilante.
Enrichir la tradition
La taille de la vigne est pour moi le fondement de notre métier. Travailler avec une plante nous met en relation avec le vivant dans son ensemble. Respecter les équilibres biologiques et faire confiance au vivant sont indissociables de mon engagement professionnel. Cela prolonge mes recherches personnelles, en perpétuel renouvellement, et qui sont à la base de mon engagement citoyen. Remettre en question la tradition pour l’enrichir s’applique ainsi également à mes réflexions et recherche autour des modes de tailles. Celles-ci sont très codifiées en Champagne. Comme partout, la catastrophe du phylloxéra a profondément marqué notre région, touchée parmi les dernières en France. La culture de la vigne se faisait ici en foule, avec, de fait, une régénération constante de la plante par un provignage permanent, qui consistait à enterrer les bois de l’année précédente pour qu’ils produisent de nouvelles racines, en gardant seulement les bourgeons terminaux pour développer les nouveaux sarments. Passer à un système de taille sur porte-greffe nous a contraints à l’immobilité, contrastant ainsi fortement avec le provignage de la vigne en foule qui cheminait au sein des échalas replantés chaque année dans les parcelles.
Arrivée de la taille Chablis
De cette confrontation entre la tradition et la nécessité d’adaptation est née la taille Chablis, que nous pratiquons pour l’essentiel de notre vignoble composé à 95 % de chardonnay. Le chardonnay est très bien adapté à ce mode de taille avec des baguettes à cinq bourgeons, qui accepte l’allongement des bras que nous appelons charpentes. Il l’est d’autant plus que la fertilité de ses premiers bourgeons est bien plus faible que celle du pinot noir par exemple, pour lequel nous privilégions des tailles courtes en cordon, avec des coursons à deux yeux. Si l’on regarde la taille Chablis dans une perspective historique, elle peut être vue comme une « vigne en foule aérienne », tant nos charpentes sont comparables au provignage pratiqué précédemment. Tout ce qui se situe maintenant entre la tête de souche et le plus bas des deux fils lieurs était précédemment conduit en terre.
Intérêt en période de gel
Il est aussi intéressant de comprendre la genèse de ce mode de taille par la crainte du gel hivernal. Nos Anciens gardaient cette tête de souche au plus près du sol afin de la recouvrir de terre par buttage en hiver. La plus faible fertilité des deux premiers bourgeons des baguettes permet aussi d’étager les plans de la canopée, tout en restant une réserve de production possible après un gel printanier qui détruit en premier les deux ou trois bourgeons terminaux de nos baguettes à cinq bourgeons francs. En 2021 par exemple, nous avons pu ainsi récolter une demi-récolte sur un secteur bien gelé, pour l’essentiel à partir des deux premiers bourgeons, voire des bourrillons qui habituellement ne démarrent pas. Quant à nos cordons de Royat sur pinot noir, nous trouvons un très grand intérêt à tailler les coursons à un œil franc, ce qui permet au bourrillon fructifère sur ce cépage de bien se développer. Cette technique favorise un allongement très limité chaque année, sans créer de zones de nécroses dans les porteurs.
Construire les souches
La construction de nos souches se fait tout d’abord par un recépage des plants d’un an au niveau de la couronne primordiale du greffon. Nous développons ainsi cette couronne qui va former une multitude de bourgeons latents, proventifs, sur lesquels toute la vie du cep va s’organiser. Nous allons ensuite développer nos charpentes en les allongeant chaque année tout en supprimant celles qui viendraient à recouvrir le pied suivant à la base de la souche. Et nous gardons trois à quatre charpentes au maximum par pied. Ce développement de nos souches à partir de la couronne de l’œil primordial est l’une des raisons qui nous protègent des dépérissements, notamment ceux liés au syndrome de l’esca. Avec les mêmes cépages que nos voisins bourguignons, nous avons ainsi deux fois moins de dégâts d’esca.
Échanges sur la taille non mutilante
Comparer nos modes de taille selon les vignobles et rencontrer les vignerons d’autres régions est toujours enrichissant. Le mode de taille était l’un des sujets que nous avons pu aborder lors du voyage que nous venons d’organiser en Alsace au sein du réseau Bio en Grand Est pour un groupe de vignerons de l’ACB. Nous sommes notamment allés rencontrer Julien Albertus qui met en œuvre au domaine Kumpf et Meyer les principes de la taille non mutilante, préconisée par Marceau Bourdarias. Les manquants pour cause de dépérissement sont parfois nombreux en Alsace comme dans beaucoup de vignobles, malgré les curetages tentés pour assainir les souches. L’idée d’un provignage aérien fait ici aussi son chemin pour occuper au mieux l’espace foliaire et compenser ainsi la mortalité de façon plus efficace et rapide que des entreplantations aux résultats aléatoires. Afin de développer les réflexions autour de nos modes de taille, Marceau Bourdarias est maintenant épaulé par l’équipe des Architectes du Vivant qu’il a formés pour reprendre les principes retrouvés souvent dans la littérature viticole du début du vingtième siècle. Reinhold Dezeimeris en est une source majeure d’inspiration, aux côtés de Jules Guyot et Eugène Poussard.
Approfondir les connaissances
Avec l’ACB, il y a une dizaine d’années, nous avions fait venir pour des formations les équipes de la Sicavac pilotée par François Dal. J’ai eu aussi l’occasion de partager une journée de formation avec Marco Simonit. Depuis 2020, j’ai accueilli plusieurs fois Marceau Bourdarias au domaine pour des formations de deux jours. Toute mon équipe vignes a ainsi pu être formée. La semaine dernière, c’était au tour de François Dargelos, qui est le référent Architectes du Vivant en Champagne, de venir pour former un groupe d’une dizaine de Champenois intéressés par ces techniques. Nous sommes allés par le froid regarder comment les techniques de coupe, laissant des parties de bois qui limite la dessication des vaisseaux transportant la sève, assurent l’augmentation de la résilience des plantes à la taille, mais aussi des rendements supérieurs et plus réguliers. L’adaptation de la charge de bourgeons à la vigueur du cep peut se lire facilement en regardant combien de bourgeons se sont bien développés l’année précédente. En laisser davantage à l’issue de la taille d’un cep ne fera que l’affaiblir un peu plus, en limitant davantage pour les bourgeons principaux l’accès aux précieuses réserves du bois.
Développer la pratique
Un débat est actuellement ouvert entre François Dal et Marceau Bourdarias sur les contraintes que les différents systèmes peuvent entraîner sur la charge de travail. Mais quel que soit notre mode de taille, nous avons à nous inspirer avec profit de cette vision physiologique renouvelée par les connaissances plus scientifiques dont nous pouvons profiter avec nos techniques modernes. Nous allons nous mettre au travail en Champagne au sein de l’interprofession pour continuer de réfléchir à la meilleure manière de capitaliser sur les avantages de nos pratiques, tout en les adaptant aux évolutions nécessaires de nos modes de culture, en priorité l’affranchissement de l’usage des herbicides.
Pascal Doquet
(crédit P.Doquet)
Le partage de Pascal : l’écorçage des vignes
Parmi l’équipe des Architectes du Vivant, David Lahaye-Panczak a développé avec une grande patience la technique de l’écorçage des vignes, qui donne une vision claire de la présence du cambium vivant sur des souches qui sont, pour une bonne part, constituées de bois mort. Cette manière de faire est beaucoup plus éclairante qu’une coupe de tronc à la scie, et bien sûr beaucoup moins mutilante pour la vigne. Il ne s’agit en effet que d’accélérer la perte en continu de l’écorce qui se fait naturellement. Il est facile de comprendre ainsi, en voyant ces grandes longueurs de bois vivant, comment la taille chablis procure à la vigne une grande quantité de nutriments contenus dans les réserves des rayons médullaires du bois, surtout comparée à un cordon mutilé, comme souvent, par des plaies qui détruisent les canaux de sève qui ont perdu leur étanchéité. David explique sa technique sur sa page facebook et partage très souvent ses écorcés sur le groupe Taille et conduite de la vigne que je vous invite à consulter.