"N'ayons pas peur de parler de vin !"
Au sein de la commission cave de la coopérative Biocoop, Viviane Thibaut et une dizaine d'autres sociétaires se chargent de sélectionner les produits et fournisseurs des rayons vins, bières et alcools des magasins. Elle nous explique l'organisation de Biocoop pour valoriser les vins bio.
Vitisbio : comment est née la commission cave chez Biocoop ?
Viviane Thibaut : À mon arrivée chez Biocoop en 2003, j'ai repris la structuration de l'offre des vins en magasins. Au départ, ces derniers se débrouillaient seuls, sans offre nationale. Puis nous avons monté un petit comité avec quelques sociétaires intéressés. Enfin, suite à mon passage au conseil d'administration, entre 2011 et 2017, la commission se crée, en 2016. Sans cadre au départ, nous avons peu à peu défini les critères du cahier des charges interne, plus restrictif que le règlement bio européen.* La commission est en effet garante de la cohérence des achats, des conditions pour les référencements, des critères de sélection. Et contrairement à d'autres commissions produits, nous participons aussi à la recherche et la sélection des nouveaux fournisseurs. Tous les ans la commission se rend, entre autres, à Millésime Bio. Je me rends après à La levée de la Loire avec la responsable de catégorie. Ce dernier gère ensuite la gestion des achats, et la logistique. Dès le départ, nous avons voulu proposer une fête des vins en magasin. C'est un évènement important représentant 20 % des ventes de la cave à l'année.
*Les engagements Biocoop en rayon vin
- Les vins vendu chez Biocoop ont des doses de sulfites ajoutés limitées à 90mg/L pour les rouges et 100mg/L pour les blancs (1)
- Développement du réemploi de bouteilles. La commission cave est à l'origine du projet : identification des acteurs locaux pour la récupération des bouteilles, le nettoyage et la redistribution aux fournisseurs.
- Pas de capsules sur les bouteilles. (En cours de développement, lancé en 2022).
- Critères de sélection des fournisseurs (100 % bio, producteurs indépendants en priorité, etc.)
(1) Taux de SO2 autorisé au sein du règlement bio européen :
Vins rouges secs (< 2 g/L sucre) : 120 mg/L ; vins rouges secs ( ≥2 et < 5 g/L sucre) : 150 mg/L.
Vins blancs secs / rosés secs ( > 2 g/L sucre) : 150 mg/L ; vins blancs rosés secs ( ≥ 2 et 5 g/L sucre) : 170 mg/L.
Pouvez-vous nous présenter cette fête des vins ?
Tous les ans, sur les deux dernières semaines de septembre, les magasins peuvent organiser une fête des vins au sein de leurs rayons. Il s'agit d'une offre promotionnelle pour les consommateurs. La commission cave sélectionne une soixantaine de vins. Chaque année, il y a toujours au moins une quinzaine de nouveautés : soit un nouveau fournisseur, soit un nouveau produit dans la gamme de producteurs déjà référencés. En amont, au sein de quatre grandes régions du réseau, des dégustations sont proposées aux gérants et salariés afin qu'ils puissent choisir et commander les vins qu'ils souhaitent mettre en avant dans leur magasin. Cette année nous associons cette dégustation avec le fromage et la charcuterie, pour relier aussi le vin aux autres produits alimentaires de Biocoop. Cela donne une nouvelle dynamique, très positive.
Comment la fête est-elle déployée dans le réseau ?
Chaque magasin adhérent du réseau est libre de commander les vins souhaités, en fonction des disponibilités. Ils peuvent bien sûr proposer aussi des vins de producteurs locaux. Nous conseillons de présenter au moins une quinzaine de vins dans chaque magasin. Et nous encourageons l'organisation de dégustations, notamment à l'aveugle, pour casser les a priori que l'on peut avoir sur certains vins. Cela dépend beaucoup de l'intérêt qu'ont les salariés pour le vin. Certains ne se sentent pas assez compétents pour organiser des dégustations. Nous aimerions pourtant pouvoir casser la peur du vin, la peur d'en parler - du type "Je n'y connais rien". Ce sont les employés qui sont au contact du client, il est important de les familiariser avec le produit. Nous programmons de plus régulièrement des promotions mensuelles avec le vin du mois. Mais également une fête des vins de printemps axée blancs et rosés, une fête pour Pâques et pour Noël, où nous proposons souvent des vins de gamme supérieure.
Quels sont vos critères pour sélectionner des fournisseurs ?
C'est un des points de notre cahier des charges, nous rendant plus exigeants que d'autres enseignes. Nous n'achetons pas de vin à des entreprises cotées en Bourse, et/ou appartenant à des multinationales dont les intérêts sont contraires à nos valeurs. Nous suivons une sorte de pyramide d'achat : prioritairement, nous sélectionnons des producteurs indépendants. Puis nous nous tournons vers les coopératives, mais ce n'est pas encore simple car rares sont les coopératives 100 % bio. Nous cherchons à voir si elles ont cette volonté d'inciter les producteurs à la conversion. Et enfin, nous achetons à des négociants, à condition qu'ils soient 100 % bio. Autant dire qu'il n'y en a pas beaucoup ! Nous voyons aussi de plus en plus de producteurs ayant une petite part de négoce. La dynamique a vraiment évolué avec les années. Au départ, nous devions aller chercher les producteurs et certains ne voulaient pas travailler avec les magasin. Aujourd'hui, les demandes sont permanentes, et malheureusement, nous sommes une enseigne généraliste, nous devons limiter nos références de vins. Nous en avons à ce jour environ 200 au catalogue. Un de nos critères de plus en plus présent et mis en avant est la démarche du producteur pour la biodiversité : ruchers en lisère des vignes, labels Bee Friendly, LPO, replantation des haies, agroforesterie, etc.
Comment un producteur est-il référencé ?
Certains vignerons se signalent à nous, nous en rencontrons d'autres sur les salons... Un nouveau fournisseur se référence toujours via une opération promotionnelle du réseau, et ce, afin de favoriser la communication sur le produit. Nous questionnons évidemment les vignerons sur leur capacité de production, même si nous n'exigeons pas des volumes gigantesques ! Nous fixons à 3 000 bouteilles le minimum de disponibilité par référence, car nous souhaitons continuer à travailler avec des petits producteurs. Ensuite nous évoluons la cohérence du prix, en effectuant un comparatif entre le montant à la cave du vigneron, et celui en magasin. Nous ne pouvons pas nous permettre de rentrer du vin, dont on sait que le prix ne passera pas au niveau du consommateur. Nous avons déterminé trois catégories de vins pour les magasins : le vin de tous les jours en entrée de gamme, pour des prix magasin inférieurs à 7 €, puis les vins de partage entre 7 et 10 €, et enfin la gamme d'exception au delà de 10 €. Et évidemment la qualité prime avant tout. Par exemple, en 2022 nous avons intégré des vins de la coopérative de Cairanne, car ils étaient excellents.
Comment le rayon vin est-il mis en avant au sein des magasins ?
C'est justement un des travaux récents de la commission cave. Nous avons élaboré un concept à déployer en magasin, garantissant une meilleure perception des vins par les clients. Il s'agit de mobilier, de manières d'agencer le rayon, d'une signalétique facilitant le choix des consommateurs. Nous souhaitons être plus concis, plus clairs, plus didactiques pour organiser le lieu. Et évidemment, nous souhaitons mettre en avant et afficher distinctement ce qui nous différencie des autres enseignes.
Quelle est votre vision du marché du vin bio ?
Depuis que je suis chez Biocoop, j'ai toujours vu les chiffres de la consommation de vin augmenter. En 2019, nous étions à + 13.2 % d'augmentation, en 2020, + 22.6 %. Aujourd'hui, nous sommes dans une conjoncture particulière - en 2021, nous avons noté + 3.65 %. Il est dur d'identifier ce qu'il va se passer dans les années à venir. Le comportement du consommateur est en train de changer, il va falloir observer et anticiper. Les magasins ont pâti d'une baisse de ventes, et nous constatons en effet un petit peu moins de précommandes pour la fête des vins de 2022 par rapport à 2021. À voir ce que sera la réalité. Mais certaines régions restent très dynamiques, comme la Gironde où les conversions augmentent fortement. Si la production est motrice, nous arriverons à la suivre. Et au sein de Biocoop, nous évoluons aussi dans un certain segment du marché. Nous ne travaillons pas avec de gros faiseurs, ou dans les milieux avec beaucoup de spéculations. Le plus préoccupant selon moi ce n'est pas l'augmentation des volumes, mais les aléas climatiques de ces dernières années, freinant la production. J'ai toujours entendu depuis le départ les pionniers de la bio dire "si on est trop nombreux, nous n'arriverons plus à vendre notre vin" ! Au contraire, c'est en train de se généraliser. Et c'est à nous d'engager la conversion des consommateurs !
Et l'engouement pour la bière dans tout ça ?"En effet, nous voyons se déployer de nombreuses brasseries bio artisanales, affirme Viviane Thibaut. L'offre locale explose avec une très grande diversité et les ventes de bières sont en augmentation". Et l'été caniculaire de 2022 a été profitable au produit, sans aucun doute. "Néanmoins, cela n'atteint pas encore les chiffres un vin. La filière est parallèle, je ne pense pas qu'elle obscurcisse celle du vin." La politique de Biocoop est d'ailleurs de mettre aussi la bière en avant, notamment via une fête en juin, depuis 2019.