Pendant trois ans, avec le projet Basic (1), la Fnab et son réseau national, l'Inrae et l'Itab se sont attelés à explorer les solutions mises en oeuvre par les viticulteurs pour réduire l'usage du cuivre. Un webinaire en novembre 2022 fait le point sur les enseignements. Voici un retour.
«S'intéresser au comportement du cuivre dans les sols viticoles français est un axe important du projet», détaillent les partenaires de Basic. Les résultats se basent sur la bibliographie et 92 échantillons de sols des vignobles français issus de domaines viticoles bio, partenaires du projet. Avec une médiane de cuivre total de 91 mg/ kg, ces parcelles se situent dans la médiane nationale, d'environ 100 mg/kg. Laurence Denaix, chercheuse à l'Inrae de Bordeaux, rappelle que les fortes teneurs en cuivre dans les sols viticoles français, sont dues à l'historique des traitements phytosanitaires depuis le début du XXe siècle. Pour cette raison, il n'y a pas de différences significatives décelables entre les teneurs en cuivre des sols conduits en bio et les autres. Tout comme il est mis en évidence la relation croissante entre l'âge des parcelles et leur concentration en cuivre. « De fortes teneurs en cuivre se retrouvent aussi dans des sols ayant reçu des composts issus de déchets ménagers, ou de boues et gadoues urbaines, lorsque ces dernières n'étaient pas réglementées et donc riches en métaux lourds. »
PH et matière organique du sol : facteurs influents
La forme du cuivre présentant un risque de toxicité pour l'environnement est la forme ionique Cu2+ libre. Le reste du cuivre total étant complexé à des éléments de l'eau porale, ou à la fraction solide du sol via la matière organique, ou d'autres constituants minéraux. « Le cuivre biodisponible est donc la part de cuivre dans le sol assimilable par les organismes. Comme le cuivre est un oligo-élément, il est absorbé à partir d'un certain seuil, propre à chaque être vivant. De la même manière, le cuivre commence à s'accumuler et à être toxique de façon variable selon chaque végétal ou animal. Nous manquons de références sur ce point. » Laurence Denaix indique en outre qu'il n'existe aucune équation simple reliant le cuivre disponible et le cuivre total dans le sol. « En revanche le Cu2+ libre dépend fortement du pH et de la teneur en matière organique du sol dans lequel il est présent : plus le sol est acide et pauvre en matière organique, plus le cuivre sera présent sous une forme ionique, et ainsi facilement assimilable par les organismes vivants du sol. »
Une équation de prédiction
Les chercheurs ont par ailleurs, défini une équation assurant la prédiction de la biodisponibilité du cuivre en fonction du cuivre total, du pH et du taux de matière organique dans le sol. Jouer sur ces deux derniers facteurs est un levier important pour réduire la biodisponibilité du cuivre. Quant aux couverts végétaux favorisant une capture du cuivre, Laurence Denaix indique que des travaux sont en cours. « Mais le cuivre est un oligo-élément, et les plantes le régulent. Il est donc difficile de trouver des plantes hyper-accumulatrices. Sans oublier le fait qu'il faut ensuite sortir les végétaux accumulateurs de cuivre de la parcelle pour les traiter. Toute la logistique doit être pensée. »
Analyse des itinéraires techniques
Grâce à des enquêtes en 2020 et 2021 auprès d'une quarantaine de vignerons installés en climat continental, méditerranéen ou océanique, les partenaires du projet font le point sur la quantité annuelle de cuivre utilisée, le nombre de traitements, et la nature des produits employés. « Et bénéfice pour le projet, ce furent deux années contrastées en pression mildiou », explique Marie Thiollet-Scholtus, chercheuse à l'Inrae de Colmar. Premier enseignement : les quantités de cuivre pulvérisées sont similaires entre les zones climatiques continentales et océaniques, avec une moyenne, toutes zones confondues (hormis la Champagne en 2021), de 1,94 kg/ha en 2020 et de 2,29 kg/ha en 2021. « Ce qui est environ la moitié du maximum autorisé. Mais il ne faut pas ressortir ces chiffres de leur contexte. Ils dépendent d'un échantillon de viticulteurs (lié au projet) avec certaines conditions pédoclimatiques et pression maladie. » Second point : la dose totale de produit appliquée dépend du nombre de passages. « En effet, sur les deux années étudiées le nombre de traitements varie, mais la proportion moyenne de cuivre par traitement est stable. » Une troisième conclusion met en évidence qu'il n'y a pas de lien entre intensité et fréquence des dégâts du mildiou et la quantité de cuivre utilisée. « Autrement dit, ce n'est pas parce que l'on va mettre plus de cuivre que l'on aura moins de maladie ». Enfin : « la dose de produits cupriques n'influence pas les rendements réalisés en 2020 et 2021 ». Les chercheurs ne pouvant pas comparer les rendements en valeur absolue, ils ont analysé la satisfaction du viticulteur quant à son objectif de rendement.
Efficacité du traitement et observation
La seconde partie des enquêtes interroge les stratégies des producteurs, et ce, pour identifier des méthodes induisant moins d'usage de cuivre. « Il est évident que la combinaison des leviers est la stratégie la plus pertinente, soutient Marie Thiollet-Scholtus. Néanmoins, une pulvérisation optimale reste le nerf de la guerre. » Et ce, via un positionnement des traitements pertinents et en particulier le premier , un matériel bien réglé et une bouillie de qualité. L'utilisation de préparations naturelles peu préoccupantes est une technique complémentaire pour améliorer l'efficacité des traitements. « La gestion de l'enherbement et de la vigueur de la vigne sont les deux autres points prioritaires, pour contraindre la vigne à limiter son développement et offrir moins de portes d'entrée au mildiou. » Connaitre ses parcelles, les observer en s'aidant notamment d'OAD et de bulletins techniques, mener des mesures prophylaxiques est primordial : via travaux en vert, gestion de l'enherbement des sols, choix de la fertilisation et des amendements organiques. « La reconception des systèmes, notamment avec l'utilisation de variétés résistantes est un autre exemple de piste possible. »
Frédérique Rose
Pour en savoir + : www.produire-bio.fr/articles-pratiques/projet-basic-viticultureet-raisins-de-table-biologiques-a-bas-intrants-cuivre/
(1) Le projet Basic (Bas Intrants Cuivre) est financé par le plan Ecophyto II. Il s’est déroulé du 1er octobre 2019 au 31 décembre 2022.
Article paru dans Vitisbio 18. Janv-Mars 23.
Vigilance à la plantation
La chercheuse Laurence Denaix prévient des risques lors de la plantation d'une parcelle de vigne. « Si un labour est réalisé, on risque d'enfouir la terre de surface, pouvant être contaminée en cuivre. On peut créer une couche de cuivre en profondeur, qui, si elle est toxique, se révèle problématique pour le passage des racines de la vigne. » Laurence Denaix préconise de bien mélanger la terre pour diluer le cuivre. « Et d'apporter de la matière organique. Car retourner les sols, surtout ceux acides, entraîne une minéralisation très rapide de la matière organique et donc une migration du cuivre. Chauler le sol peut aussi s'avérer un levier utile. »
Pascal Doquet, vigneron bio en Champagne
Partenaire du projet Basic, Pascal Doquet partage son expérience. « Avec 9 000 pieds/ha, nous avons 12 000 m2 de haie foliaire, et un système de taille de la vigne démarrant au ras du sol. Cela entraine des risques de contaminations primaires de mildiou précoces. » En 2008, le Champenois acquiert un pulvérisateur à jet porté avec trois hauteurs de buses, et en rang par rang. « Sinon, c'est mission impossible en bio dans nos régions. » Il essuie un premier échec en 2012, avec 25 jours d'humectation de feuillage en juin et 11 jours de panne de tracteur. « En bio, il est impératif de toujours avoir un plan B ». C'est donc ce qui le pousse à investir dans un chenillard avec un pulvérisateur embarqué. Suivre la croissance de la vigne, recouvrir les nouvelles feuilles même s'il n'y a pas eu de pluie et ne pas faire l'impasse sur les premiers traitements sont des clés. « Idem sur les petits grains après la chute du capuchon floraux ». En saison, le vigneron est rarement en dessous de 300 g par passage. « Et nous sommes à 200 g en début de saison. Jusqu'en 2012 je pouvais monter jusqu'à 800 g par passage, mais ça ne donnait pas de meilleurs résultats à la vendange ! Je tourne maintenant autour de 3 kg/ha/an, sauf en année de pression mildiou plus importante où j'atteins les 4 kg/ha/an, comme en 2021. En 2012 et 2016, j'étais autour de 6 kg/ha. »
2021, saison compliquée
Cette année-là, Pascal Doquet utilise un produit avec mention SPe1 en début de saison, l'obligeant à ne pas dépasser les 4 kg/ha pour l'année. « Je pense avoir laissé passer plein de premières petites contaminations au printemps, à une période où la vigne ne poussait pas à cause du froid. » Quand la chaleur et de gros orages sont arrivés, le mildiou s'est fortement développé, au moment de la floraison. En outre, sur un secteur, ses vignes gèlent fortement, prennent un retard de croissance et présentent des tissus plus tendres. « Sur cette zone, j'ai fini à 15 % de mon objectif de rendement. Et ce, en ayant utilisé au total 4,5 kg/ha, grâce à la délivrance d'une AMM de 120 jours à 5 kg/ha par le ministère de l'Agriculture suite à la demande des organisations viticoles. »
Penser aux plantes
Avec le recul, le vigneron se dit qu'il aurait été judicieux, d'utiliser très tôt, des produits à base de plantes. S'il les applique depuis 6-7 ans (algue, osier, prêle, un peu d'ortie), l'idée, ici, aurait été de les pulvériser, mais sans les associer au cuivre. « Cela aurait pu aider à limiter ces premières contaminations. » Le vigneron bénéficie aussi d'un OAD relié à un réseau de stations météo. « C'est un vrai bénéfice, m'évitant de faire le tour de tous les pluviomètres ». Pour Pascal Doquet, avoir le capteur d'humectation en plus sur les stations est important. Car parfois les contaminations en fin de saison arrivent en haut du feuillage, même sans pluie. « On espère quand même réussir à se passer de cuivre un jour car ce n'est vraiment pas naturel de devoir protéger une plante à ce point, conclue le vigneron. On traine cette maladie depuis un siècle et demi. Peut-être faut-il davantage expérimenter sur le renforcement du système immunitaire de la vigne ? »