Très impliquée sur le sujet de la flavescence dorée, Hélène Thibon redonne ici les éléments de contexte liés à cette problématique. Depuis plusieurs années, elle milite pour l’obligation de traiter à l’eau chaude tous les plants sortants de pépinières.
Contamination progressive
Je vais vous parler aujourd’hui d’un sujet extrêmement sensible pour nous vignerons : la flavescence dorée. À ce jour, la flavescence dorée touche 75 % du territoire viticole français. Depuis 2015, à Libian, nous faisions une prospection une fois par an sans rien détecter. Notre région a été officiellement considérée comme contaminée en octobre 2016 sur un secteur assez loin de chez nous. C’était un plantier de jeunes vignes (et ça, ce n’est pas un scoop : les grandes contaminations proviennent toujours de plants livrés déjà contaminés) détectés trop tardivement. Puis, il y en a eu d’autres et rapidement nous avons trouvé quelques plants par-ci par-là… Aujourd’hui, on considère que 100 % de la région est contaminée. J’ai la rage et la peine au ventre quand nous sommes obligés d’arracher de vieilles souches de 80 ans en pleine production. Nous sommes dévastés chaque année quand il faut aller passer l’insecticide obligatoire.
Pour lutter, agir sur quatre piliers
Pour se défendre contre cette maladie, il y a quatre piliers de lutte :
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- ne pas introduire la maladie dans le vignoble, c’est-à-dire mettre en place des plants sains ;
- prospecter le vignoble, minimum une fois par an, pour détecter les souches atteintes ;
- arracher les vignes malades ;
- « exterminer » le vecteur par une lutte insecticide.
Les trois derniers points font l’objet d’un arrêté préfectoral qui oblige les vignerons situés en zone contaminée de prospecter-arracher-traiter. Ça marche assez bien mais ceci implique d’utiliser des insecticides 1 à 3 fois par an (de mai à juillet environ) pour espérer éliminer le vecteur. Il est bien évident que ce n’est pas aussi simple : en premier lieu il est impossible de « tout tuer » et surtout nous utilisons des produits toxiques pour l’humain et son environnement. Nous déséquilibrons rapidement le milieu et nous nous trouvons devant de nouveaux problèmes à gérer : c’est un cercle infernal ! Je ne vous fais pas un dessin sur la toxicité des insecticides sur l’être humain… Mais c’est la loi et aucun vigneron ne peut y échapper quand ses vignes se trouvent en zone contaminée. Et la survie de son vignoble est en jeu.
Militer pour le traitement à l’eau chaude
On peut quand même se poser la question de pourquoi les trois derniers points de la lutte sont aussi sévèrement appliqués et contrôlés alors que le premier point « ne pas introduire la maladie » – ce qui, entre nous, tombe sous le sens – est pratiquement absent des textes de loi ? Nous nous battons depuis plusieurs années en ce sens. En effet, il existe une mesure simple, 100 % fiable, sans aucun impact pour la santé de la vigne, économique et écologique : le TEC ou traitement à l’eau chaude. Ce traitement nous le connaissons depuis les années 1960, il s’agit de tremper les bois ou plants de vignes dans un bain d’eau chaude pendant 45 minutes à 50 °C et c’est tout ! Il garantit au vigneron un plant parfaitement sain. Il est efficace sur la FD mais aussi sur Xylella fastidiosa , une maladie bien plus terrible que la FD (elle touche plus de 400 espèces végétales : vignes, oliviers, amandiers, citrus, graminées, luzernes, etc.). Et cette maladie est à nos portes. Mais non, ce serait peut-être trop simple ?
Le nouvel arrêté en question
En avril 2021, est sorti un nouvel arrêté ministériel légiférant sur la lutte contre la FD. Étant référente FD au sein de la Confédération paysanne, nous y avons activement participé afin de rendre obligatoire le TEC sur tous les bois et plants de vignes livrés aux vignerons sur le territoire français. Il faut savoir que, encore aujourd’hui, la Confédération paysanne est le seul syndicat présent en réunion qui se positionne aussi fermement sur cette obligation. Les syndicats viticoles sont absolument muets lors de ces réunions de travail ! Je peux en témoigner et je passe de sales moments… Malgré notre détermination, nous n’avons pas pu obtenir l’obligation totale du TEC face au lobby des pépiniéristes. Aussi nous avons déposé au mois de mai un recours gracieux au ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation en demandant la révision de l’article 16 de ce nouvel arrêté. Mais nous n’avons obtenu aucune réponse… Donc, la Confédération paysanne a décidé de saisir le conseil d’État le 22 octobre. Notre principal opposant est la fédération des pépiniéristes qui s’arc-boute sur le refus de généraliser le TEC. La lutte continue, elle sera longue… Mais absolument indispensable si nous ne voulons pas voir mourir notre vignoble et utiliser sans fin des insecticides. Et nous savons que c’est possible de changer : en exemple, la Bourgogne et Cornas ayant fait rentrer l’obligation du TEC dans leur décret d’AOP.
Quid du marselan ?
Un autre point, que je pose ici : va-t-on enfin se poser la question du cépage marselan ?
En effet, dans notre région, les jeunes plantations de marselan sont majoritairement contaminées par la FD, c’est souvent de là que les contaminations proviennent (bien sûr, il y a d’autres cépages aussi, mais j’ai bien l’impression que le marselan est un champion). Quand je pose la question lors des réunions, d’un coup tout le monde devient sourd…
Le partage d’Hélène : Exiger la qualité
Le sujet est trop grave pour parler d’autre chose. C’est malheureusement une lutte collective, on ne peut l’ignorer et se dire que ça ne nous arrivera pas. À chaque fois que vous devez planter (complants ou nouvelle plantation), il est vraiment primordial d’exiger à votre pépiniériste le TEC. Pour le vigneron c’est tout bénéfice : vous aurez l’assurance de ne pas introduire de maladie et comme ce bain d’eau chaude est un peu traumatisant pour les plants, le pépiniériste sera dans l’obligation de vous fournir des plants de très bonne qualité, car les plants médiocres (mal soudés, mauvaise mise en réserve, etc.) n’y résisteront pas ! Nous n’utilisons à Libian que des bois ou plants de vignes traités à l’eau chaude depuis fort longtemps et nous n’avons jamais eu aucun problème. En mars 2021, nous avons planté des syrahs en greffe anglaise avec 100 % de réussite ! N’hésitez plus et exigez la qualité. Dans le même temps, je vous encourage vraiment à demander à vos représentants syndicaux l’obligation du TEC pour tous. Sinon la FD, puis demain Xylella continueront leurs ravages.
Hélène Thibon
(Crédit photo: Mas de Libian)