Et nous voilà repartis pour une nouvelle saison ! Cette fois direction le sud de la France, dans l’Hérault, au cœur de l’AOP Faugères. Brigitte Chevalier nous présente son Domaine de Cébène. Dans cette première lettre, elle décrit son installation progressive, avec toujours en ligne de mire, son objectif : la qualité et la valorisation de ce terroir de schiste.
Petit tour du propriétaire
Présentons d’abord le domaine, tel qu’il est aujourd’hui : en AOP Faugères, sur la roche-mère - un affleurement de schistes - on trouve 8 hectares de syrah, grenache, mourvèdre, carignan. Et ce, à 300 mètres d’altitude, sur des terrasses en courbes de niveau, orientées principalement au nord. Sur un terroir villafranchien au sud de Faugères, 2,70 ha sont plantés en grenache et mourvèdre. La majorité des vignes du domaine sont assez âgées avec une vigueur modérée. Le rendement est autour de 25 hL/ha. La récolte est manuelle et obligée vu le parcellaire et la taille en gobelet sur l’essentiel du vignoble. Un salarié est permanent sur le domaine et des intervenants occasionnels arrivent en supplément en fonction du travail à la vigne. Le chai, positionné dans la plus grande parcelle, est à proximité des vignes. Le transfert y est gravitaire dès la réception de la vendange. La production annuelle est d’environ 30 000 bouteilles, avec une gamme de 5 vins entre 14 € et 45 €. La commercialisation s’est établie dans un premier temps à l’export, mais aujourd’hui 50 % sont vendus en France. Pour gérer notre stock, conditionné en bouteilles, nous avons recours à une entreprise de logistique. L’image et la notoriété ont demandé un effort important en temps, et une communication permanente. Mais avant d’en arriver là, revenons un peu sur l’historique et les étapes de cette installation.
Une grande motivation
J’ai attrapé le virus progressivement, au cours de ma longue expérience professionnelle en marketing, dans le monde du vin. Néo vigneronne, j’étais préoccupée par tout ce que je devais apprendre de ce métier et, avec naïveté, je n’imaginais pas pour autant la nécessité d’un registre aussi large de compétences et un engagement personnel et familial aussi lourd. Le soutien de mon compagnon, consultant en stratégie viticole, a été d’un appui important. J’avais dressé une liste de critères incontournables, pour m’aider à orienter mes recherches de vignobles et prendre ma décision lorsque j’ai examiné les divers projets de reprises.
Les critères incontournables
Ces critères, les voici :
- Un objectif de qualité et d’équilibre financier de mon projet
- Un engagement en viticulture biologique
- La qualité du terroir, en AOP dans le sud de la France
- Et le goût et le choix du terroir : l’idée a toujours été de produire des vins authentiques, sans artifice à la vigne et au chai
- Un équilibre physiologique des vignes, avec enracinement profond et rendements modérés
- Les schistes : je recherchais la caractéristique aérienne et délicate des vins de schistes
- Investir dans le financement d’un stock conditionné plutôt qu’une conservation des vins en vrac : réalisation de la mise en bouteille quand le vin est prêt à être conditionné.
Dans les choix délibérés, nous avons centré l’énergie, la réflexion, les dépenses, sur le terroir, la culture du vignoble, les équilibres physiologiques naturels en s’éloignant des artifices : et cela, pour fonctionner sans rognage, ni effeuillage, ni récoltes en vert et sans équipements vinicoles sophistiqués.
Y aller pas à pas
L’acquisition d’un domaine nécessite des moyens financiers importants pour acheter le vignoble, les équipements, voire le fonds agricole. Sans oublier le fonds de roulement, qui finance l’activité et les investissements nécessaires pour adapter l’outil au projet personnel du repreneur. En optant pour la progressivité des investissements, l’idée est aussi d’augmenter la capacité de production au fur et à mesure de la construction des débouchés commerciaux. Le démarrage avec un prestataire de services a par ailleurs différé les achats de matériel de culture. Ces derniers ont été acquis au fur et à mesure, et ce, pour gérer entièrement, à terme, les plannings d’intervention. Idem pour la cuverie, achetée petit à petit, en parallèle de l’augmentation de la production. Cette stratégie limite la partie non valorisée au démarrage et évite des pertes importantes sur une activité vrac non rémunératrice dans notre région. Le banquier est d’autant plus conforté à accompagner le projet s’il peut constater la dynamique du démarrage. J’ai donc opté pour cette stratégie, favorisant une installation progressive - et donc à moindres frais - et à risques limités, conditions sine qua non pour moi.
Une opportunité à saisir
Réfléchir préalablement à l’investissement est nécessaire pour calibrer le projet. Mais cette évaluation reste abstraite tant que les vignes ne sont pas trouvées. La rencontre avec des coopérateurs, n’arrivant pas à valoriser certaines de leurs parcelles aux terroirs si peu productifs, a favorisé la concrétisation de mon projet. Avec ce défi : comment tirer parti des avantages de ces petits rendements et de parcelles de petites surfaces, difficilement mécanisables ? Sachant que les parcelles peu rentables incitent les viticulteurs à ne réaliser qu’un minimum de soins. La reprise en main en est alors d’autant plus difficile.
De 2007 à 2022 : les étapes
L’installation progressive s’est caractérisée par un étalement des achats des vignes, la construction différée du chai et la création des vins de façon échelonnée : démarrage avec un vin (Ex Arena), puis deux cuvées supplémentaires à partir de 2008 (Les Bancèls et Felgaria), s’ensuit un vin de plus (Belle Lurette) grâce à la dernière acquisition de vignes en 2011. Enfin 2019, la 5 e cuvée voit le jour (À la Venvole). Retour en arrière avec plus de détails :
2007 : Création du Domaine. Prise en fermage de 2,20 ha (en dehors de l’AOP Faugères). Premier achat en AOP Faugères de 2,30 hectares. Location d’un chai, avec les critères : gravité, contrôle des températures, mise en bouteilles sur place. Conduite immédiate en viticulture et vinification biologique.
2008 : Deuxième achat de vignes, sur une colline en terrasses d’environ 1 ha, en AOP Faugères.
2011 : Troisième achat d’un ensemble de vignes (5 ha) qui jouxtaient une de mes premières parcelles de Faugères.
2012 : Rénovation d’une petite bâtisse pour l’accueil des clients, un « mazet » au milieu des vignes.
2013 : Replantation de carignan et mourvèdre.
2014 : Édification du nouveau chai.
2019 : Construction d’une salle de dégustation, gîte et logement.
Notre outil ainsi constitué nous engage définitivement dans une politique de qualité et de valorisation compte tenu des faibles rendements. La suite… Au prochain épisode !
Brigitte Chevalier
(crédit photo : Domaine de Cébène et L.Frezouls)