Après un millésime compliqué, les vendanges se sont terminées le 21 septembre au Mas de Libian. Période intense et jamais gagnée tant que les raisins ne sont pas rentrés. Mais cette année la récolte est belle chez les Thibon.

Le soulagement

Chers amis vignerons,

Je crois que comme tous les vignerons de la planète, à la fin des vendanges (le 21 septembre pour nous cette année), nous poussons tous un ouf de soulagement. Nous sommes tous allégés, exténués, un peu perdus aussi : voilà c’est fini, c’est fait. Bien sûr, il y a les vinifications et tout le travail en cave, la concentration ne s’arrête pas à la récolte, mais ce n’est pas pareil : les raisins sont à l’abri. Et le résultat, maintenant dépendra de nous, pas des caprices de la météo !

Et il y a des années ou le « OUF » est plus intense que d’autres, n’est-ce pas ? On ne peut parler des vendanges sans avoir regardé avant les conditions climatiques - et parfois humaines - qui nous ont accompagnés jusqu’à la récolte, sinon ça n’a pas de sens.

Le millésime 2021… Comment va-t-on en parler ?

Je passe sur l’hiver qui fut, chez nous, humide mais absolument pas pluvieux. L’humidité par ici c’est plutôt rare : il pleut ou il fait sec mais le brouillard, la petite pluie qui ne sert à rien juste à vous faire patauger dans la boue pendant la taille, normalement ce n’est pas notre quotidien en climat méditerranéen… passons…

Dernière semaine de mars, 28°C  : l’hiver est mort ! En fait, pas tout à fait… Mais la végétation était comme nous : elle y a cru aussi et la semaine suivante… Bon, on ne va pas revenir sur la catastrophe, la désolation de ce mois d’avril. Surtout qu’à Libian, il est interdit de se plaindre à la vue de ce qui est arrivé dans les vignobles voisins (nous avons eu 1,5 ha totalement grillé et des petits « ronds », localisés par-ci, par-là). Le printemps a du mal à s’installer comme si, lui aussi, était sonné par ce qu’il avait fait. Les vignes ne repoussent pas, c’est de nouveau l’hiver. Voici un résumé des conditions météo de la station Weenat (en sachant que nous avons dû changer de station en avril à la suite d’une panne).

Le mois de mai a été bien arrosé, les traitements se sont enchaînés, les mois suivants idem, il n’a pas fait très chaud non plus. Bref, nous avons traité jusqu’au mois d’août (fait rarissime) et la véraison a également traîné en longueur. Comme les mots me sont comptés, je ne peux développer plus 😉 Mais c’est une année tardive, enfin c’est une année comme nos parents avaient l’habitude, avant…

Des vendanges… comme avant ?

Début des vendanges le 2 septembre . À titre d’exemple en 2020 les vendanges se sont déroulées du 15 août au 5 septembre. Il ne fallait pas se précipiter. C’est difficile quand on a pris l’habitude de courir pour vendanger plus vite que la concentration ! Puis il a fallu se presser. Heureusement nous avons évité les orages diluviens qui sont tombés dans le Gard. Pour nous, juste 10 mm, 3 mm, 4 mm, rosée le matin - ça vaut une pluie - sur raisins mûrs. Il faut accélérer surtout quand il y a une attaque de vers de grappe d’un autre monde ! C’est-à-dire comme jamais vu ! et peut-être même à la fin, l’arrivée de Drosophila suzukii . Ça faisait bien longtemps que nous avions perdu l’habitude de trier ! Et puis, c’est drôle de rentrer des degrés du monde d’avant-d’avant : des syrahs à 12, des grenaches à 14-14,5… Mais que c’est confortable !

L’heure des choix

De façon classique nous commençons par les blancs : un peu de muscat, viognier, roussanne, un soupçon de chenin. Les clairettes seront ramassées après les rouges. Puis bousculade, on se grouille ! Certaines syrahs doivent être vendangées au plus vite : la piqûre guette. On trie, on s’active. Météo annoncée : phénomène méditerranéen-cévenol en vue. Ça, ça fait peur. De toutes façons on ne pourra pas tout rentrer, alors vient le temps du choix déchirant : que laisser dehors, que rentrer ? Rentrer ce qui est le plus fragile mais pas forcément les meilleures parcelles ? Ou rentrer les meilleures en sachant que les plus fragiles ne résisteront pas ? À chaque fois, cette obligation de décision me renvoie à « l’injustice » de l’enfance : «  comme c’est toi la plus grande tu dois être plus responsable, assumer…  ». Et bien ça continue. On choisit donc de rentrer les plus fragiles et de laisser dehors les plus belles parcelles, plus résilientes : ça fend le cœur ! Je me souviens après être passée les voir avant la pluie dire à Alain «  c’est tellement beau que c’est à pleurer  ». On scrute les nuages, 40 fois dans la journée on regarde la météo, les images radars, à chaque fois une prévision différente, bref personne ne sait… Et l’Hérault, le Gard sont inondés, les orages nous viennent dessus… Mais, mais oui ! Ils se séparent ! Une partie remonte le Rhône, une autre l’Ardèche. Regardez comme nous sommes situés :

Bon les années sèches, c’est parfois difficile de voir passer la pluie, mais là ! On devient complètement égoïste : ce n’est pas pour nous ! On prend les bordures, mais 10 mm contre 100, ça change tout !

Au final, la récompense

On retourne vendanger, on trie un peu plus, c’est humide le matin et il faut absolument finir. Il fait chaud, ça s’abîme, on accélère… L’équipe est fatiguée mais comprend l’urgence. Lundi 20, on coupe pendant 9h40. Cette fois, c’est sûr, on finira mardi soir et la reboule sera mercredi midi, ooooouuuuf !

Et finalement, nous avons une belle récolte, avec de belles surprises : la vigne de grenache qui a totalement gelé, a repoussé avec des raisins : 45 hL/ha ! C’est la force de ce cépage. Pour les syrahs… elles ont tout donné mais elles n’ont pas cette puissance : 1/3 de récolte. On parlera des vinifications au prochain épisode. En attendant de se retrouver, je vous souhaite une bonne fin de vendanges et des vinifications les plus sereines possibles.

Hélène Thibon
(Crédit photo: Mas de Libian)